-Pardon ?
Lucien ne se donna pas la peine de répondre, sachant que Louise l'avait parfaitement entendu. Il se contenta de garder ses yeux plantés dans les siens et d'attendre. Malgré les efforts que la jeune brune faisait pour cacher ses émotions, le vieil homme parvint à lire sur son visage tout ce qu'elle ressentait. Surprise, peur, colère, doute. Il parvenait à lire en elle comme dans un livre ouvert.
Louise n'osait pas quitter Lucien des yeux, sans en savoir la raison. Il avait deviné. Mais comment ? Avait-elle fait un faux pas ? Quelque chose qui l'ait démasquée ? Louise sentit la colère monter en elle en voyant qu'elle avait une nouvelle fois échoué. Elle n'apportait que le malheur, elle en avait assez. Mais peut-être ce vieillard ne faisait que la tester... À vrai dire, en se repassant la journée de la veille, Louise ne voyait pas ce qui aurait pu lui mettre la puce à l'oreille. Alors peut-être lui posait-il la question uniquement pour savoir ce qu'elle faisait là. Il lui semblait bien que ce manque de questions était suspect.
-Je ne vois pas de quoi vous parlez, reprit-elle d'une voix forte.
Pour seule réponse, Lucien arqua un sourcil. Louise se sentit petit à petit défaillir. L'avait-il vraiment deviné ?
-Ma-Mathieu est mon ami, balbutia-t-elle. Depuis toute petite.
Lucien ne bougeant pas, Louise lança un regard désespéré à son frère, qui le lui rendit.
-Monsieur, écoutez... commença-t-il.
-Non, vous, écoutez, le coupa Lucien. Ne vous prenez pas la tête à me mentir, je sais que vous êtes frère et sœur. Vous vous ressemblez à bien des égards, et la protection mutuelle dont je suis témoin depuis hier ne laisse aucun doute. Je l'ai su dès que vous avez passé le pas de cette porte. Tu n'as pas besoin de t'en vouloir, Louise. Tu n'as rien fais de travers, ajouta-t-il en voyant la mine dépitée de la jeune fille. Et sachez que je ne vous jèterai pas dehors. Je ne vous dénoncerai pas non plus, vous avez ma parole. Vous avez de la chance d'être tombés sur l'un des rares villages à être contre le Roi et son Royaume. Vous n'avez donc aucun soucis a vous faire. Oh, et appelez-moi Lucien.
Sidérés, Louise et Mathieu restèrent stupidement immobiles, bouche bée. Lucien se remit tranquillement à sa cuisine, comme si rien ne s'était passé. Mathieu secoua finalement la tête et s'assit délicatement.
-Bon... chuchota-t-il, encore surpris.
Louise hocha lentement la tête et se racla la gorge. Elle se dirigea vers la salle de bain en pensant se passer de l'eau sur le visage, pas un seul instant inquiète de laisser son frère seul avec Lucien. En ouvrant la porte, elle se retrouva face à un visage aux traits juvéniles qui la regardait avec des yeux ronds.
Louise ne fit pas attention à Théo et ouvrit le robinet, dans un état second. Alors qu'elle se lavait le visage, Théo bafouilla :
-J-je ne pensais pas te voir c-ce matin.
Louise ferma le robinet et prit la première serviette qui lui tombait sous la main. Elle s'essuya doucement le visage en regardant son reflet.
-Tu vas bien ? demanda le blond.
Louise acquiesça machinalement. Elle observa la fine ligne qui lui ceignait le bras, toute rose et en cours de cicatrisation. Même constat sur sa cuisse. Elle ne sentait presque plus la douleur d'hier soir.
-Hé bah, tu te rétablis vite ! s'exclama Théo.
La jeune fille aux cheveux bruns ne répondit rien et sortit de la salle de bain, Théo sur ses pas.
-Bonjour, Théo, lança Lucien.
-Bonj...
-Je sors, l'interrompit Louise. Je serais là avant la tombée de la nuit.
Sans attendre le consentement de qui que ce soit, elle sortit. Louise fut accueillie par un brouhaha de voix fortes, et, lorsqu'elle regarda autour d'elle, elle remarqua que tout le village s'était animé. Les petites ruelles étaient pleines, des paysans passaient avec de lourds sacs pleins de farine sur leurs épaules, d'autres avec du blé, des marchands s'étaient installés devant des maisons et vendaient des épices, des céréales, des fruits, et tant d'autres choses que Louise plissa les yeux devant ces mélanges de couleurs incroyables. Jamais elle n'avait pensé, en arrivant au milieu de la nuit, qu'une telle quantité de personnes pouvait se bousculer dans un si petit village.
La surprise passée, Louise sentit la panique la happer en voyant tous ces inconnus se serrer contre elle pour tenter de lui vendre quelque chose. Avec milles excuses et quelque coups de coude, elle parvint à se frayer un chemin et fonda la foule le plus rapidement possible.
Elle atteint une ruelle sombre et vide, et s'y engouffra sans plus tarder. Une fois sa respiration calmée, Louise posa sa tête contre la pierre d'une des maisonnées et soupira. Cela faisait plusieurs années qu'elle n'avait pas été en contact avec tel nombre d'individus. Ça ne s'était produit qu'une seule fois.
Elle devait avoir trois ans, tout au plus, et était avec son père et sa mère. Ils se baladaient tranquillement dans leur ville, à la recherche de victuaille, entourés de gens aimables et que ses parents connaissaient bien. Mais lorsqu'ils s'arrêtèrent devant un poissonnier, et qu'il cria aussi fort que sa voix le lui permettait :
-Elle a violé nos lois ! Scélérate ! Elle a trahi notre Roi !
Cela causa l'affolement d'une vingtaine de personnes, et certaines d'entre elles entreprirent de les pourchasser jusqu'à ce qu'ils fuient la ville. Ce fut à partir de ce moment que tout a dégénéré.
-Vous vous sentez bien ? fit une voix proche.
Louise sortit de sa torpeur et baissa les yeux. Une jeune fille, d'environ quinze ans, la dévisageait de ses grands yeux verts inquiets, la main sur son bras.
-Oui, ça va, répondit Louise une fois son bras dégagé.
-Vous êtes nouvelle dans le coin ?
Les dents de Louise se serrèrent. La curiosité était une des choses qu'elle n'appréciait pas particulièrement.
-M'as-tu déjà vu ici ?
-Non.
-Alors oui, je suis nouvelle, soupira Louise.
La fille haussa les épaules avant de s'adosser aux cotés de Louise. Sans y prêter attention, cette dernière attendit patiemment que les rues se vident. Pendant ce temps, elle fit des allers et retours incessants devant la jeune fille aux yeux verts, espérant qu'en l'impatientant, elle s'en irait. Malheureusement pour elle, ce ne fut pas le cas. Après être restée environ une demi-heure dans un silence plus que pesant, Louise céda :
-Pourquoi restes-tu ici ? Personne ne t'attends ?
-J'attends que la foule se disperse. D'ici environ une heure ou deux, il y aura assez de place pour pouvoir marcher sans toucher toutes les secondes un inconnu, sourit la fille.
En entendant ses paroles, Louise sentit un petit sourire se dessiner sur ses lèvres. Elle avait évité sa deuxième question.
-Et toi ?
-Pour la même raison.
Elle hocha la tête en signe de compréhension. Elle n'arrêtait pas de jeter des coups d'œil fréquents à cette brune aux yeux noirs, qui, avec sa démarche prédatrice et féline, ressemblait plus à un animal qu'à une jeune femme. Après avoir tourné sa langue sept fois dans sa bouche, elle se jeta à l'eau :
-Arrête-moi tout de suite si je suis trop indiscrète, mais comment t'es-tu blessée ?
En se tournant lentement vers la fille, Louise fronça les sourcils.
-De quoi parles-tu ?
-Tu-tu saignes, bégaya-t-elle. Oh mon Dieu, ta poitrine ! Louise, tu saignes !
Louise baissa les yeux vers sa poitrine et remarqua en effet une tâche pourpre s'agrandir sur son torse. Sa blouse, bleu marine, ne tarda pas à devenir entièrement rouge. Affolée, la jeune brune arracha son vêtement et remarqua qu'une longue estafilade barrait toute sa poitrine dans le sens de la longueur. Et pourtant, elle ne ressentait aucune douleur.
-C'est quoi, ce bordel ? marmonna-t-elle.
La fille était toujours là, les joues inondées de larmes, recroquevillée dans un coin. Elle se balançait d'avant en arrière en chuchotant des paroles inintelligibles. En s'approchant doucement, Louise tendit la main.
-Hey, je vais bien, murmura-t-elle. Ce n'est rien, ça va. Comment connais-tu mon nom ?
-Ce n'est pas rien, sanglota la fille. Je t'ai vu, je t'ai vu. Tu es morte. Tu es morte ! cria-t-elle.
-Hein ? Mais de quoi parles-tu ?
Elle gémit et fut soudainement prise de convulsion. Louise la prit dans ses bras pour la calmer, mais rien n'y fit. Elle était indomptable. Alors qu'elle était prête à crier à l'aide, la jeune fille s'évanouit. Louise ne réfléchit pas. Elle se releva, la fille dans les bras, et courut jusqu'à la maison de Lucien.
Sans savoir pourquoi, elle avait un mauvais pressentiment.
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L'oubli de l'éternité
et
Vindicta.

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Condamnée.
Teen FictionQue feriez-vous, si l'on vous reprochait d'être venu au monde ? Si la société dans laquelle vous viviez vous privait de votre liberté ? Si votre vie ne se résumait qu'à une fuite perpétuelle ? "-Et toi, qu'est-ce qu'on te reproche ? La jeune fille j...