Pied à terre

4 0 0
                                    

Alors que son cœur s'emballait et que les secondes s'écoulaient dangereusement, Altéria perçu la sensation familière qui avait disparu lorsqu'Ieza lui avait demandé de vider son esprit un peu plus tôt. Elle prit tout à coup conscience de ressentir la présence de l'eau autrement qu'avec ses sens, comme si l'étendue salée de l'océan n'était qu'une extension d'elle-même. Sans réfléchir, elle ramena ses bras en avant comme pour tirer quelque chose de derrière elle. L'eau l'accueillit bien plus tôt qu'elle ne l'avait prévu et il n'y eut pas de percussion violente comme elle s'y serait attendue. Son étonnement fut tel que la jeune femme oublia de retenir sa respiration lorsqu'elle plongea au creux des vagues.

Ballotée par le courant, Altéria peina un instant à déterminer sa position sous l'eau. Lorsqu'enfin elle retrouva son orientation, elle se propulsa vers la surface d'un coup de pied qui, bien qu'elle n'eût pas trouvé d'appui, parvint à la faire remonter en vitesse à l'air libre. Sous le ciel crépusculaire, la jeune femme sortit la tête de l'eau en une grande inspiration, emplissant ses poumons d'air salé et manquant de boire la tasse. Au-dessus d'elle, par-dessus le fracas des vagues, elle entendit les cris de victoire de Nanthamo.

Alors qu'elle peinait à distinguer le jeune homme en haut du mât, Altéria vit sa silhouette plonger depuis son perchoir vers l'océan en un saut à la courbe surnaturelle. S'élevant soudain à côté de la jeune femme et partant à la rencontre du plongeur, une imposante masse vint accueillir l'Enartien à mi-parcours avant de se fondre de nouveau dans l'océan. Nanthamo émergea à côté d'Altéria, tout sourire.

- Alors ? demanda-t-il en rayonnant.

La décharge d'adrénaline de la chute, s'estompant, Altéria réalisa alors que le responsable de sa chute et le jeune homme qui était en train de fanfaronner à côté d'elle étaient la même personne. Balayant de la main la surface de l'eau, elle envoya vers son compagnon une gerbe d'eau qui se transforma en une véritable vague sous laquelle l'Enartien disparut quelques secondes avant d'émerger de nouveau.

- Tu m'as jetée ! cria-t-elle.

- Oui !

- Du haut du mât !

- Oui ! confirma le coupable sans se départir de son sourire.

- J'aurais pu me tuer ! insista la jeune femme.

- Pas avec autant d'eau autour de toi. C'est comme dans n'importe quelle situation de danger, instinctivement tu vas tout mettre en œuvre pour te protéger.

- Au bout de vingt ans j'ai brisé un sceau en ayant un moment de panique irrationnelle plutôt que pendant une vraie situation de danger ! Et tu comptais vraiment faire confiance à ce genre d'instinct pour m'empêcher de me fracasser dans l'eau ?

- J'ai eu raison non ?

Altéria ne trouva rien à répondre. La vérité était pourtant là et elle ne pouvait le nier. Elle s'était protégée du danger de la chute, utilisant le Nolensat pour amener l'eau à elle avant que l'impact ne soit mortel. Et elle l'avait fait seule. Faisant courir sa main à la surface de l'eau, elle put constater qu'elle pouvait faire suivre le tracé qu'elle décidait aux vaguelettes qui l'entouraient. C'était grossier, un vague courant dans une direction précise, mais c'était réel. Et si c'était réel alors tout le reste aussi l'était.

- Nanthamo, appela-t-elle en levant les yeux vers le jeune homme.

- Oui ?

- Je crois que je suis vraiment une Enartienne.

- Il était temps que tu t'arrives à t'en convaincre, répondit Nanthamo en riant, parce que crois moi que peu de monde ici en doutait.

Aidé une grande partie du trajet par l'impossible vent toujours favorable généré par Ieza, le navire ne mit que cinq jours à effectuer le chemin de retour jusqu'au continent. Pendant ce temps, Nanthamo entreprit d'enseigner à Altéria les rudiments du Nolensat, sous le regard toujours attentif de leur aîné. A la fin la traversée, la jeune femme était capable de contrôler de simples déplacements d'eau et d'en diviser grossièrement un volume en plusieurs parties. Elle échouait cependant désespérément à cristalliser la moindre forme de glace mais, comme lui répétait son professeur improvisé, la glace n'était pas une vision fréquente sur Niméo.

Le Joyau d'OrlegonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant