Lame de Glace

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 La chaleur de son bucher improvisé ne tarda pas à atteindre la jeune femme réfugiée dans son arbre, la forçant à réagir. Ses bras acceptèrent enfin de desserrer leur prise autour du tronc et elle put sentir la douleur de ses muscles ankylosés qui peinaient à regagner leur mobilité. Il lui fallait pourtant agir, et agir vite. L'homme à la voix nasillarde avait versé un liquide inflammable au pied de l'arbre, accélérant la propagation des flammes qui commençaient même à se répandre dans l'herbe sèche aux alentours. Les chevaux, qui étaient restés impassibles jusque-là, se mirent à tirer sur leurs attaches pour s'éloigner au maximum de l'incendie qui les menacerait bientôt, poussant des hennissements inquiets qui se noyaient dans le bruit de combustion qui enflait.

L'épaisse fumée qui se dégageait des herbes incendiées lui cacha bientôt complètement la vision, l'emprisonnant dans une sphère noire à l'odeur âcre qui lui attaquait les yeux et les poumons. Elle qui s'était plaint auparavant du climat continental regrettait en cet instant la fraicheur des matins d'Orlegon. Au milieu du vacarme, la voix d'Ieza parvint à ses oreilles, trop forte et claire pour avoir été émise par des moyens conventionnels.

- Altéria, descends de l'arbre maintenant ! lui ordonna le selven d'un ton sec qui détonnait avec son impassibilité habituelle.

- Les flammes m'en empêchent ! cria-t-elle en réponse sans s'interroger de si son interlocuteur parviendrait à l'entendre.

- Eteins les flammes ! Utilise ton Nolensat !

- Je ne sais pas si je peux contrôler assez d'eau à la fois !

- Génère de la glace pour les étouffer !

- Je ne sais pas comment faire ! paniqua la jeune femme tandis que les flammes commençaient à attaquer les branches à proximité, je ne sais pas à quoi ressemble de la glace !

Ieza ne répondit pas immédiatement, laissant sa compagne à nouveau seule sur son arbre en proie aux flammes. L'idée de sauter au travers traversa son esprit un instant avant qu'elle ne se ravise. Elle n'avait plus aucune idée de la progression de l'incendie dans l'herbe et plonger à l'aveugle l'exposait au risque de se réceptionner au milieu du brasier. La branche sur laquelle elle se trouvait était épaisse et peinait ainsi à s'embraser. Mais les flammes en avaient atteint la pointe plus fine et commençaient à la dévorer avec appétit, poussant Altéria à se plaquer à nouveau au tronc, collant son dos à l'écorce noircie de suie pour continuer de surveiller la mortelle avancée. La voix du vieil Enartien parvint alors de nouveau à elle.

- Altéria je suis désolé, ça ne sera pas agréable, annonça-t-il d'une voix qui, pour la première fois, paraissait sincèrement inquiète, mais nous n'avons pas le choix.

L'intéressée n'eut pas le temps de poser de question qu'une douleur aiguë lui traversa le crâne, comme si une pointe était venue transpercer son front. L'appui secourable de l'arbre dans son dos fut la seule chose qui l'empêcha de tomber au bas dans la fournaise. Ses pensées devinrent confuses l'espace d'un instant, empêchant la jeune femme d'aligner deux idées consécutives et donnant à ses sensations une impression d'irréel. Une idée s'imposa alors au milieu des autres, comme la reviviscence d'un souvenir, mais qui n'était pas le sien.

Elle vit devant elle ce qu'elle aurait pu prendre pour les berges d'un lac mais dont l'eau paraissait figée en une masse grise et sombre. Les abords de cette étendue sombre étaient eux parés d'une épaisse couche immaculée où des traces de pas étaient distinctement visibles. Il n'y avait ni son, ni odeur dans ce souvenir, comme si ces deux sensations avaient été aspirées par le manteau blanc qui couvrait la scène. Le tout était plongé dans un calme qu'Altéria, qui avait toujours vécu avec le bruit du vent et du ressac de l'océan, n'avait encore jamais expérimenté. Une soudaine brûlure irradia de sa main droite tandis que la vision se modifiait pour laisser place à celle d'une paume rougie tenant en son creux une étrange pointe transparente.

Le Joyau d'OrlegonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant