Les immenses portes d'Agathil s'immobilisèrent dans le silence de la nuit, seulement brisé par le frémissement des torches que les Enartiens plus âgés portaient au milieu des novices désormais muets. Les voix multiples qui s'étaient élevées au-delà des remparts s'étaient tues après avoir crié leur ordre unique et l'air semblait chargé d'une attente palpable. Finalement, les porteurs de torches se mirent en marche, entraînant les plus jeunes dans leur sillage. Altéria se retrouva rapidement au milieu d'une foule dense de novices qui, comme elle, suivaient sans vraiment comprendre ce qui se déroulait autour d'eux.
Avant peu, ils traversaient les formidables portes de la cité, écrasés par la hauteur des murailles de pierres centenaires qui les surplombaient. De l'autre côté, Agathil se découvrit à ses nouveaux arrivants dans toute sa grandeur nocturne. Au-delà des remparts, passé les grandes portes de la cité, s'étendait une large rue qui s'enfonçait droit devant eux, semblant à première vue ininterrompue jusqu'aux flancs de la montagne qui s'élevait de l'autre côté d'Agathil. Les bâtiments de part à d'autre de la rue étaient taillés dans la même pierre que le mur d'enceinte de la cité et, remarqua Altéria, leur taille était d'une précision telle qu'on peinait à distinguer les jointures entre les blocs. Ces bâtisses culminant sur un à deux étages affichaient un aspect sobre et fonctionnel et s'étalaient de part et d'autre de l'artère principale, éclairées sur leurs façades de quelques torches à la flamme vacillante.
Progressivement, à mesure que les novices avançaient le long de la grande rue, des silhouettes silencieuses commencèrent à apparaître sur certains toits. D'abord rares, les silhouettes devinrent de plus en plus nombreuses sur les toits, jusqu'à atteindre de petites foules amassées en silence en haut des bâtiments. Le vent qui balayait par moment la cité faisait tournoyer par moment les étoffes blanches des caves autour des discrets témoins, trahissant leurs identités.
La procession se poursuivit encore de longues minutes, où les novices s'enfoncèrent dans les profondeurs de la cité sous le regard de dizaines d'Enartiens silencieux. Finalement, alors qu'Altéria commençait à douter qu'ils atteignent un jour la fin de leur voyage, la rue s'élargit pour s'ouvrir sur une grande place sur laquelle se déversèrent les nouveaux arrivants. Un murmure ébahi commença dès lors à s'élever de la foule des novices à mesure qu'ils prenaient conscience de la vision qui leur était offerte.
La place prenait la forme d'un grand demi-cercle pavé dont la partie centrale était légèrement surélevée avant de donner naissance à un escalier qui montait vers la montagne. Le flanc de celle-ci avait été creusé, ornant la roche d'une gigantesque façade qu'Altéria ne pouvait que qualifier de palais. Des rangées d'arcades s'alternaient avec des demi-colonnes creusées dans la montagne et plusieurs alcôves percées ça et là abritaient de véritable brasero, éclairant les parois de pierre d'une lumière rouge. Dans l'obscurité de la nuit, il semblait qu'aucune pierre n'eut été rajouté à l'édifice, celui-ci paraissant entièrement issu du travail de la roche dure de la muraille naturelle d'Agathil. Au pied de la façade, près des arcades les plus basses, s'étendait une terrasse de pierre qui surplombait la place et sur laquelle onze silhouettes étaient éclairées par des brasiers allumés tout autour d'eux.
Parmi eux, Altéria put reconnaître la silhouette et le crâne lisse d'Ieza. Le vieil homme était vêtu d'une somptueuse tunique pourpre richement brodée d'or qui scintillait à la lumière des flammes et une vision frappa immédiatement la jeune femme. A l'exception de l'homme se tenant au centre du groupe, les tenues de ceux qui accompagnaient Ieza étaient toutes aux couleurs attribuées à l'un des sceaux énartiens, tandis que le dernier était vêtu d'un large manteau qui paraissait faite d'or transformé en tissu. Altéria avait déjà vu des parures d'or, certaines des dernières familles riches de Saisio se paraient parfois de manière ridiculement ostentatoire de tous les bijoux qu'ils possédaient encore, mais cette tenue là était différente. La tenue était sobre, bien plus que celles des autres figures de l'estrade, et sa couleur évoluait selon les mouvements de son porteur, allant de l'or vif à des nuances beaucoup plus sombres, proches du bronze. Sous ce manteau pareil à une feuille de métal, l'homme semblait habillé de manière très sobre, voire austère. Autour de lui, les dix figures ne pouvaient que rappeler immédiatement par leurs couleurs les bougies de l'Appel.
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Le Joyau d'Orlegon
FantasyEn Orlegon, certains naissent avec la capacité de maîtriser de puissants dons offerts par la déesse Enartia elle-même. Native d'une île isolée d'Orlegon, Altéria découvre avec surprise qu'elle est l'un de ces êtres et voit son quotidien devenir radi...