Rencontres dans les montagnes

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Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis l'attaque des bandits et la suite du trajet s'était faite dans une ambiance bien plus lourde. Ieza avait tenu sa promesse et quand Altéria s'était réveillée le lendemain de l'embuscade ses souvenirs manquaient de détails, comme s'il s'agissait d'événements vieux de plusieurs années. Ses émotions tourmentées, elles, étaient parfaitement intactes et la jeune femme passait parfois de longues minutes à regarder ses mains avec l'impression de pouvoir sentir encore l'odeur du sang qui les avait tachées. Elle voyageait désormais habillée de la tunique blanche des Enartiens, ayant dû se débarrasser de sa précédente tenue, irrémédiablement teintée de rouge. Cela avait d'ailleurs été une nouvelle épreuve pour elle qui avait eu l'impression d'incinérer une partie d'elle, une partie attachée à Niméo et qui n'avait pas survécu plus de quelques jours sur le continent. La jeune femme s'était par la suite sentie mal à l'aise dans les vêtements immaculés qu'elle avait enfilés et qui lui semblaient ne pas être à sa taille.

A l'occasion d'un nouvel arrêt pour la nuit, Nanthamo la retrouva un soir une aiguille en main, en train de retoucher son pantalon, cachée en partie sous sa couverture de voyage. Les deux jeunes gens restèrent silencieux quelques minutes, l'un allumant le feu de camp tandis que l'autre continuait son ouvrage.

- Où as-tu trouvé le fil ? finit-il par demander avec un air vaguement surpris.

- J'ai défait les broderies du col et des manches de la tunique.

- C'est dommage, elle était jolie avec.

- Ça ne me ressemblait pas. Je ne me sens pas à l'aise dans cette tenue.

L'Enartien ne dit répondit rien de prime abord puis, une fois les premières flammes prises, vint s'asseoir non loin de sa compagne de voyage.

- Personne ne se sent à l'aise dedans la première fois. Il faut du temps pour s'y faire.

- J'ai peur de ce qui se passerait si je m'y fais trop vite.

- Est-ce que nous parlons toujours de vêtements ? demanda Nanthamo avec perspicacité.

- Non.

Le feu commençait à craquer joyeusement, projetant quelques étincelles dans la lumière tombante du soir. La silhouette solitaire d'Ieza était visible en hauteur sur un aplomb rocheux, scrutant les alentours. Ils avaient atteint les premières montagnes quelques jours plus tôt et le terrain avait commencé à devenir plus accidenté. Le petit groupe avait alors suivi une grande route qui serpentait entre les montagnes, passant quelques cols de basse altitude et s'enfonçant plus profondément entre ces immenses géants de pierres. Leur arrivée à Agathil était, semblait-il, imminente et dans ces ultimes instants de voyage Altéria s'inquiétait d'être vraiment faite pour cette vie.

- Tu sais que nombre d'Enartiens n'ont jamais combattu autrement qu'à l'entraînement, finit par reprendre Nanthamo dans une tentative de réassurance, et la majorité occupe des fonctions qui ne nécessitent plus jamais d'avoir recours à la violence.

- Est-ce que beaucoup ont tué quelqu'un sur le chemin d'Agathil ? maugréa la jeune femme en délaissant son ouvrage.

- Tu veux dire en dehors de ceux n'ont pas eu le choix pour sauver leur vie ? répliqua l'autre d'un ton légèrement agacé, c'était toi ou lui, Altéria. Personne ne te forcera jamais à faire plus.

- Tu l'as déjà fait ?

- Ce n'est pas la question !

- Tu l'as fait ? insista Altéria.

- Oui, répondit son compagnon à contre-cœur.

- A la demande de l'Ordre ?

- Ce n'était pas pareil.

Le Joyau d'OrlegonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant