Le Joyau d'Orlegon

Saosa et Rymian

La réaction d'Altéria à la vue des flammes fut immédiate et instinctive, les souvenirs d'être prise au piège dans les branches de l'arbre incendié s'imposant à elle par en une cascade angoissante. A peine ressentit-elle l'étrange sensation que procurait le contrôle du Nolensat sur l'eau contenue dans la gourde toujours attachée à son côté avant de de le déchaîner violemment, faisant éclater l'outre en peau sous la pression. La pièce entière, ainsi que la silhouette menaçante, furent aussitôt recouvertes d'une épaisse pellicule de givre et les flammes s'éteignirent, plongeant la pièce dans le noir total. Sans demander son reste, Altéria voulut se précipiter vers la porte de l'habitation pour s'enfuir le plus vite possible et percuta violemment le torse d'un autre inconnu qui se tenait derrière elle et qui la rattrapa avant qu'elle ne tombe au sol sous l'effet du choc. Derrière elle, un juron jusqu'alors inconnu à Altéria s'éleva dans le noir, prononcé par la voix qui l'avait menacée quelques secondes plus tôt.

- Aaah mais j'ai les mains gelées ! Mais depuis quand tu sais faire ça ! Et c'est vraiment froid en plus ! Froid, froid, froid...

Altéria pouvait entendre celle qu'elle avait neutralisée se déplacer en sautillant tout en essayant probablement de débarrasser ses bras de leur gangue de glace au vu des bruits de frottement qui lui parvenait. Retenue uniquement du bout du bras par l'autre personne qui se trouvait dans la pièce, elle commença par reprendre son équilibre en s'excusant pour la percussion.

- Navré, répondit la voix grave et douce de l'homme qu'elle avait ainsi bousculé, je crois qu'il y a eu confusion.

- Même le Kvadsina n'était pas aussi froid ! continua de pester la voix féminine, Thalaé je te jure que dès que ça va avoir fondu tu vas le regretter.

- Thalaé ? demanda Altéria toujours à l'aveugle.

La voix se tut aussitôt dans un hoquet de surprise.

- Qui est Thalaé ? insista la jeune femme dont l'inquiétude commençait à se transformer en curiosité.

- Thalaé était la personne que certaines étaient persuadées de voir franchir le seuil de cette porte, répondit l'homme et Altéria put entendre le bruissement de ses vêtements autour d'elle tandis qu'il la contournait dans le noir.

Dans l'obscurité, le bruit sec d'un briquet à silex se fit entendre à deux reprises avant qu'une flamme n'embrase une première lampe puis un sillon creusé dans le mur de la pièce, probablement rempli d'huile à brûler, éclairant la pièce d'une lumière orangée qui vint révéler l'apparence des deux inconnus. Altéria resta un instant interdite face à ceux-ci, observant sans y croire l'homme qui venait de s'agenouiller, la flamme d'une lampe à la main, pour aider la femme à se débarrasser de la glace qui l'incapacitait encore.

Les deux jeunes gens, qui portaient comme elle des tenues de novice, étaient l'image parfaite l'un de l'autre et Altéria resta de longues minutes immobiles à observer le moindre trait de leurs visages dans l'espoir d'en distinguer les différences. A l'exception de leurs tailles et des évidentes différences liées à leurs sexes, elle n'en trouva pas. Tous deux affichaient une peau d'une pâleur extrême, même sous la lumière dorée des flammes, tranchant avec la noirceur de geai de leurs longues chevelures tressées sans autre ornement qu'une unique perle de métal pendant au bout d'une des interminables mèches. Lorsqu'ils levèrent les yeux vers elle, toujours immobile à les observer, elle put constater que leurs yeux étaient d'un bleu si clair qu'il lui semblait pareil aux eaux cristallines qui baignaient les plages de Niméo. La seule différence que parvint finalement à déceler Altéria après son long examen, fut l'apparition furtive d'une cicatrice qui marquait la joue gauche de la femme lorsqu'elle grimaça en soupirant de soulagement quand les flammes commencèrent à libérer lentement ses mains de la glace qui les retenait. Mais malgré cette cicatrice, les deux inconnus, qui ne pouvaient qu'être liés par le sang, étaient d'une étrange beauté.