Un pas dans la gueule du loup

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Le murmure des conversations des courtisans amassés dans l'immense salle s'éteignit à l'annonce du héraut. Il fut aussitôt remplacé par le bruissement feutré de centaines de tenues de soie et autres tissus précieux se frottant les uns aux autres tandis que leurs propriétaires s'amassaient en une foule compacte tout au long du chemin qui séparait l'imposante porte d'entrée à battants doubles du majestueux trône qui siégeait à l'autre bout. La chaleur du lieu était étouffante en cette fin d'été malgré les hautes fenêtres en arcade qui perçaient les murs de la galerie supérieure, et les effluves lourdes de parfum peinaient à masquer les relents de sueurs que cette agitation n'avait pas manqué de remuer. C'était pourtant une sueur glacée qui coula dans le dos d'Altéria en voyant ainsi le couloir humain qui s'était constitué devant eux à la mention de leur présence.

Le trajet depuis Agathil jusqu'à la capitale impériale avait semblé passer en un claquement de doigt et la jeune femme ne pensait pas pouvoir se sentir moins capable qu'à l'heure actuelle d'affronter l'épreuve qui les attendait. Un coup d'œil à ses côtés lui apprit rapidement que Rymian et Saosa n'était pas plus à l'aise qu'elle, masquant comme ils le pouvaient leur appréhension derrière une rigidité qui leur donnait l'allure de deux statues inflexibles. Les trois novices se sentaient d'autant plus à découvert qu'il avait été décidé que leur nahori, Camexen, ne se présenterait pas avec eux à cette audience. Même la Selven Lacemil qui les accompagnait s'était laissée aller à prendre une longue inspiration avant de mettre le pied dans la salle du trône, comme pour mieux se préparer à ce qui surviendrait désormais.

A l'opposé de la salle, au bout du couloir infini des courtisans curieux et surélevé sur une estrade, flamboyait dans toute sa splendeur le trône impérial d'Orlegon. La légende voulait que cette relique ait appartenu à Arkos le Fondateur lui-même, qui l'aurait fait fabriquer durant son règne. L'assise en elle-même était faite d'une pièce unique de granit rose taillée mais c'était le dossier qui en faisait une œuvre exceptionnelle. Derrière l'assise de pierre rose s'épanouissaient, pareilles à une gigantesque fleur écarlate, d'immenses flammes sculptées dans du bois précieux couvert ici de feuilles d'or et là de peintures aux tons écarlates et orangés. Le tout donnait l'apparence que celui qui siégeait sur le trône le faisait au cœur d'un incendie monumental.

Ce jour-là, au cœur du brasier, siégeait la silhouette longiligne d'une femme d'âge moyen dont les cheveux noirs de jais tranchaient avec l'or de la couronne qui les ceignait. Altéria avait appris auprès de la Selven de l'Obsidienne que la couronne impériale, tout comme le trône d'Orlegon, remontait à la fondation de l'empire et au mythe qui l'entourait. On racontait ainsi qu'Arkos, le premier roi d'Orlegon, était à la tête d'un peuple nomade venu de l'ouest qui s'était sédentarisé lorsque son roi fut témoin du miracle d'un phénix renaissant de ses cendres. La ville de Xephios s'érigeait désormais sur les fondations de cet antique royaume et le phénix protégeait désormais de ses ailes les monarques d'Orlegon sous la forme de la couronne impériale. Les ailes d'or venaient ainsi de part et d'autre enserrer la chevelure sombre de celle qui siégeait désormais sur le trône incandescent et qui dardait un regard tout aussi sombre sur les quatre Enartiens qui remontaient l'allée jusqu'à elle.

Lorsqu'ils furent arrivés au bas de l'estrade sur laquelle se tenait l'impératrice Lirany d'Orlegon, les novices s'arrêtèrent un pas en arrière de la selven avant de s'incliner en un complexe salut. La position était difficile à maintenir avec stabilité, et c'était bien là son intérêt avec expliqué Lacemil quand elle la leur avait enseignée. Tout le poids du corps était reporté sur la jambe gauche, tandis que la jambe droite venait s'étirer sur la gauche. La main gauche était posée au bas du dos et la main droite venait se présenter paume vers le haut au niveau du cœur. Le tout provoquait un était de déséquilibre dont le but premier était de décourager quelconque tentative d'attaque sur le monarque salué, et à défaut de rendre celle-ci suffisamment évidente pour être interceptée par les quatre gardes qui se tenaient au bas des marches. Il aurait été difficile, même pour un Enartien, de porter ainsi une quelconque attaque tout en conservant un effet de surprise.

Le Joyau d'OrlegonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant