La Déesse cachée

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Le temps parut se figer un instant, laissant la question d'Altéria comme suspendue dans l'air confiné de la chambre. Finalement le vieil Enartien jeta un rapide coup d'œil vers la fenêtre qu'il avait scrutée auparavant avant de répondre d'une voix grave.

- Ce que je vais te dire ne sera jamais évoqué auprès d'un étranger à notre ordre, est-ce clair ?

Instinctivement, la jeune femme se pencha vers le selven, s'attendant à ce que celui-ci poursuive à voix basse mais ce dernier ne sembla pas en voir l'utilité, continuant sur son ton sévère habituel.

- Il existe un culte, très ancien, et banni d'Orlegon depuis des générations, expliqua Ieza, qui vénère non pas une, mais deux déesses créatrices. Deux déesses opposées, la lumière et les ténèbres, l'ordre et le chaos, la vie et la mort, Enartia et Silfurie.

Altéria retenait son souffle, pendue aux lèvres du vieil homme. L'évocation de ce culte proscrit lui rappelait le temple volcanique de Niméo et sa statue abandonnée vénérant la dualité. La jeune femme se demanda un instant si le monument pouvait être un reliquat oublié de cette ancienne religion. Elle se surpris à jouer machinalement avec le pendentif que Skeir et Werem lui avaient offert, ses pensées la ramenant auprès de son île natale.

- De ce culte ne reste désormais qu'un groupe renégat dont l'idéologie principale est l'opposition à l'ordre établi, à la dictature d'Enartia comme ils le désignent. Leurs membres viennent de tous les horizons et comptent de nombreux sympathisants parmi les oubliés de l'empire. Les plus dangereux restent cependant ceux des nôtres qui ont fait défection, ou pire qui n'ont jamais été jusqu'à l'Appel. Ceux-là se sont baptisés les Silfuriens, en opposition à nous autres Enartiens.

- Ce sont eux dont parlait Nanthamo juste à présent ?

- Précisément.

- Et ils nous pourchassent.

- C'est surtout nous qui les pourchassons, corrigea Ieza, contrairement à ce que les paroles de notre compagnon pourraient laisser penser les Silfuriens ne sont pas assez prétentieux pour agir en pleine lumière. Ils préfèrent de loin opérer en secret, la corruption et le trafic d'influence sont leurs armes favorites.

- Et eux non plus n'exposent pas leur nature à la vue de tous je suppose, avança Altéria d'une voix neutre.

- En effet.

Le silence retomba de nouveau entre eux. Dehors le crépuscule nimbait la ville d'or et de mauves, offrant une étonnante palette aux ruelles sales et aux toits moussus, faisant apparaître le lieu sous un jour bien plus flatteur.

- Mais... reprit Altéria tout en observant le mur du bâtiment en vis-à-vis baigné de lumière, Nanthamo semblait dire que les Silfuriens avaient causé la mort de certains d'entre vous, et pourtant l'ordre accueille ceux qui font défection. Cela me semble injuste.

- Tu découvriras qu'il vaut mieux se garder de porter des jugements hâtifs sur des situations complexes. Toute perte d'une vie est injuste, surtout si elle est prématurée, mais nombre des partisans de Silfurie peuvent rapporter une telle perte. Il est facile de penser que les autres ne sont que des monstres, mais pour ceux que l'empire déçoit, nous sommes les marionnettes d'une impératrice sans cœur qui protègent un système corrompu.

La jeune femme ne répondit pas, prenant le temps de réfléchir. Elle se demanda une seconde qu'elle aurait été sa réaction si l'Appel n'avait jamais eu lieu sur Niméo et qu'à la place quelqu'un d'autre était venu lui proposer de quitter l'île et se battre contre l'ordre établi pour un meilleur avenir. Aurait-elle accepté ? Et si oui, combien de temps aurait mit une niméenne sans aucune information sur la politique de l'empire pour comprendre qu'elle avait rejoint le mauvais camp. Plongée dans ses réflexions, elle ne se rendit compte que la nuit était tombée que lorsque Nanthamo rentra à nouveau dans la chambre équipé d'une petite lampe dont la flamme faisait danser des ombres sur les murs nus.

Le Joyau d'OrlegonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant