Le Prix du Silence

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Une fois sortie, la jeune femme se dirigea vers l'échoppe de Tarnön pour y récupérer les affaires qu'elle avait laissées là avant de se joindre à la foule. Les bruits de soufflet activant les braises et de marteau travaillant le métal lui indiquèrent que le forgeron poursuivait son ouvrage. Aussi décida-t-elle de ne pas le déranger et récupéra prestement son vieux sac en se penchant de l'autre côté du comptoir. En relevant la tête, le regard d'Altéria fut attiré par l'épée accrochée au mur de l'échoppe.

Il s'agissait de la première lame forgée par Tarnön, à l'époque où il apprenait encore sur le continent, et il l'avait gardée comme souvenir, lui qui ne forgeait jamais sur Niméo guère plus que des outils pour travailler les champs ou des pièces de rechange pour les navires. Nirchaïn et Lwod avaient demandé à leur père l'autorisation de l'utiliser de très nombreuses fois mais celui-ci avait toujours refusé et, avec les années, cette épée était devenue une sorte de relique pour tous les enfants de la cité et de ses environs. C'était avec ce genre d'arme que les héros des légendes accomplissaient leurs exploits et nombreux étaient les garçons de Saisio qui s'étaient endormis en rêvant de pouvoir un jour porter cette lame.

La jeune femme se redressa et passa la lanière de son sac par-dessus sa tête, sans pour autant quitter des yeux l'arme suspendue. La vue de la lame lui fit enfin reprendre pied avec la réalité, comme si le tranchant du métal était parvenu à déchirer le voile que l'expérience dans le cercle de flammes avait jeté sur sa perception du monde. Pour la première fois, Altéria ne vit plus l'épée comme un objet de convoitise infantile, mais bel et bien comme un outil de combat. L'idée lui vint alors qu'elle serait peut-être un jour amenée à se défendre contre une arme comme celle-ci et elle douta immédiatement d'être capable d'y parvenir. C'est alors que son attention se porta sur le bracelet qui recouvrait désormais son poignet. A la réflexion, peut-être serait-elle capable de se défendre face à cette épée, avec beaucoup d'entraînement.

La curiosité de mettre à l'épreuve les pouvoirs dont Nanthamo lui avait parlé la rongeait et elle ne parvint pas à la contenir. Le don de topaze n'était-il pas censé lui permettre de déplacer les objets sans les toucher, il lui suffisait simplement de découvrir comment. Poussée par une sorte d'intuition, la jeune femme tendit la main vers le portoir de la lame et essaya d'imaginer cette dernière réagissant à sa présence. Les secondes passèrent durant lesquelles la concentration d'Altéria se fit de plus en plus intense, sa main tremblait devant elle tandis qu'elle attendait fébrilement que quelque chose advienne. Finalement la jeune femme dut se rendre à l'évidence, l'épée restait désespérément immobile le long du mur.

Résignée, Altéria laissa sa main retomber et détourna ses yeux de l'échoppe du forgeron. De nouveau, elle en vint à douter de la véracité de ce que lui avait expliqué Nanthamo et de nouveaux doutes vinrent l'assaillir. Comment pouvait-elle porter la marque des dix sceaux alors même qu'elle n'avait jamais été en mesure de faire l'usage d'aucun des dons que disaient posséder les Enartiens ? Les bougies pouvaient-elles se tromper ? Que lui arriverait-il si elle ne parvenait jamais à briser l'un des sceaux ?

C'est la tête emplie de questions qu'Altéria reprit sa route pour quitter Saisio. En s'engageant dans l'une des ruelles de la ville, la jeune femme jeta un dernier coup d'œil par-dessus son épaule, ayant la désagréable sensation d'être observée. Elle ne croisa cependant le regard de personne, que ce soit sur la place ou depuis la tente, et continua son chemin sans plus se soucier des gens qui l'entouraient. Altéria prit alors soudainement conscience qu'une nouvelle épreuve s'annonçait à elle.

Comment parviendrait-elle à annoncer la nouvelle de son départ à Werem et Skeïr ?

Le chemin du retour fut bien plus pénible pour Altéria qu'elle ne l'aurait imaginé au premier abord. Ce n'était cependant pas le soleil qui l'incommodait, bien qu'en cette après-midi les rayons de ce dernier ne manquaient pas de venir rendre un peu plus ardu le long chemin qui la séparait de chez elle, mais l'idée que chaque pas la rapprochait un peu plus de l'inévitable séparation avec ses grands-parents. Comment réagiraient-ils en apprenant qu'elle les quittait pour plusieurs années, rendant l'hypothèse d'un adieu bien plus plausible que celle d'un simple au revoir. Skeïr pleurerait-elle en rajoutant en cachette pour la dernière fois des provisions supplémentaires dans son sac ? Werem se sentirait-il seul en allant au temple, sachant qu'il ne trouverait personne derrière l'autel brisé ? Chaque question serrait un peu plus le cœur de la jeune femme qui en vint même à regretter les événements de cette journée.

Le Joyau d'OrlegonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant