Chapitre 1

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De temps à autre, il arrive à Maeve de se demander si la vie qu'elle mène ressemble à celle de tout un chacun. S'il arrive à tout le monde de vivre la tristesse, le deuil, le désespoir. Si les gens à qui cela arrive parviennent à se relever après chaque coup dans le ventre, s'ils trouvent encore la force de voir les belles choses dans ce monde. Ces derniers temps, Maeve n'y parvient plus. Elle se souvient pourtant ce que disait toujours sa mère : L'important n'est pas d'être toujours souriant, mais plutôt de ne pas oublier la sensation que procure un sourire sincère. Ces derniers temps, Maëlle n'a pas beaucoup souri. Pas même lorsqu'elle a contribué, il y a quelques jours de cela, à épargner la vie d'un homme désigné coupable d'un meurtre qu'il n'a jamais commis, ou lorsqu'elle a rassemblé une famille de réfugiés séparés par la guerre.

- Allez Maeve, se dit-elle à elle-même en secouant la tête, ça suffit. Concentre-toi.

L'écran de son ordinateur brûlant ses yeux fatigués, la jeune femme plisse le regard en tentant d'éclaircir les mots qui lui paraissent trop flous. Jurisprudence Hamilton, premier amendement, droit d'asile autrichien... Même si la vie ne lui fait pas de cadeaux, Maeve doit continuer d'avancer. Cas par cas. Elle le doit à tous ceux qui vivent les mêmes injustices que Rodrigo Suarte, l'homme qui a pu après plus de douze années en détention à tort, rentrer chez lui pour retrouver sa femme et sa fille de seize ans. En y pensant, elle se dit que le monde a désespérément besoin d'être sauvé. Les pires horreurs n'arrivent pas du fait du monstre qu'elle croyait toujours caché sous son lit étant plus jeune ; elles arrivent lorsqu'une femme doit vivre sans son mari pendant plus d'une décennie alors que sa seule tare avait été de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Lorsqu'une personne est volée, agressée, mutilée, tuée. Lorsque des disparitions inexpliquées affluent d'un endroit à l'autre et que des gens sont oubliés, à jamais. Oui, en réfléchissant à tout ça, Maeve se dit que le monde dans lequel elle vit est quand même bien pourri. Elle veut changer ça, elle veut changer les choses qui sont à sa portée et même plus loin encore. Elle ne peut pas se sentir bien tant qu'elle ne se sent pas utile quelque part, qu'elle ne voit pas les portes d'une prison s'ouvrir ou n'entend pas les rires d'un enfant retrouvant son père. Alors même si la vie n'est pas rose, même si elle a la sensation de vivre cauchemar après cauchemar, elle ne se laisse pas aller. Ou en tout cas, elle fait tout pour.

- Maeve ? Mais bon sang, qu'est-ce que tu fais encore là ?

- Jules, répond Maeve d'un raclement de gorge. Salut. Euh... Je travaille. Pourquoi ?

- Tu as vu l'heure ?

Non, elle n'a pas vu. Baissant alors les yeux vers le petit cadre du coin inférieur de son ordinateur, elle remarque les deux petits chiffres indiquant qu'elle a déjà fait plus de quatre heures supplémentaires ce soir. Clignant des yeux comme pour vérifier la véracité de son information, elle redresse ensuite la tête vers son patron et acquiesce.

- Tu as raison, il est tard. Je vais rentrer.

La vie à Chicago n'est pas si mal, quand on y pense. Certes, beaucoup de quartiers sont peu recommandables et la ville est si grande et si peuplée qu'on si sent parfois très seul ; mais ces dernières années l'État de l'Illinois n'est plus si déplorable que par le passé. Maeve n'a pas regretté une seule seconde d'être retournée dans sa ville natale après ses études, pour retrouver son frère et ses amis d'enfance. C'est aussi tout naturellement qu'une fois son école d'avocat terminée, elle a proposé à son petit frère d'emménager avec elle le temps qu'il termine ses études d'ingénieur. Ce petit a de l'avenir, elle en est certaine. Déjà tout jeune, il lui empruntait ses livres de cours - pour prendre de l'avance et devenir aussi fort et intelligent que sa grande sœur, comme il le disait si souvent étant plus jeune. Alors elle a voulu aider comme elle le pouvait, et lui a proposé de partager son appartement pour qu'il puisse mettre de l'argent de côté. La seule contribution qu'elle lui demande, c'est un repas préparé les soirs où il termine la fac plus tôt, pour qu'ils puissent manger ensemble une fois par jour, comme lorsqu'ils étaient enfants et que leur mère travaillait tard à l'hôpital.

La voie des Anges - Partie 1 (A Supernatural Story)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant