13.

203 30 0
                                    

Je guide Raphaël jusqu’au mas qui a abrité plus d’une fête familiale dans les hauteurs de mon village pour y passer la nuit. Son emplacement promet une jolie vue sur la mer Méditerranée au loin, puis sur quelques villages et collines, et aussi la fameuse garrigue ayant bordé mon enfance entourée de vignes disséminées de-ci de-là.
La nuit affirme de plus en plus sa présence tandis que les dernières lueurs du jour plus bordeaux que rosées désormais s’effacent petit à petit pour faire place à la majestuosité des astres scintillants dans cette infinie toile sombre. 
La chaleur de la journée se fait encore sentir sur les roches parsemant les sentiers autour de nous. Les cigales chantent encore, bien que moins nombreuses, pendant que les grillons les surpassent à cette heure de crépuscule, semblant multiplier leurs douces stridulations qui ont tant bercées mes nuits.

─ Tu es sûre de l’endroit où tu nous guides ? m’interroge Raph, inquiet face à la difficulté du terrain sur lequel nous progressons.
─ Fais-moi confiance.

Quelques secondes plus tard, nous parvenons sous la petite terrasse couverte de canisses pour offrir un coin d’ombre bienvenue lors des journées chaudes et ensoleillées du joli mas en pierres.

─ Nous y voilà ! déclaré-je tandis que Raph coupe le moteur en jetant un œil à ce qui nous entoure.
─ C’est sympa ici.
─ Ça appartient à un vieil ami de la famille. Nous nous y rendions souvent lorsque j’étais adolescente. Au fil des années, tout le monde a laissé cette agréable habitude ne plus en devenir une jusqu’à disparaître totalement de notre quotidien.
─ C’est bien dommage.
─ Pas quand tu sais comment sont devenus les membres de ma famille. Mes parents ont toujours été ainsi, mais mes oncles et tantes non. Encore moins ma cousine et les amis de la famille.
─ Tony, devine-t-il.
─ Tony, confirmé-je.

Je m’approche de la vieille rambarde en perdant mon regard sur la vue.

─ Les gens changent et on ne peut rien à cela, mais ça fait un mal de chien de devoir y faire face et s’en accommoder. Moi, je ne change pas Raphaël. Est-ce que c’est normal ou est-ce que c’est là le signe d’une anomalie chez moi ? Je me pose sérieusement la question car pourquoi ne plus être soi à un certain moment de sa vie en devenant totalement l’opposé, presque un étranger ? C’est tellement déroutant.

Raphaël soupire dans mon dos avant de placer sa moto sur béquille et s’approche de moi.

─ Je sais que c’est déroutant, mais crois-moi il n’y a rien qui cloche en toi. C’est juste un gros pourcentage de la race humaine qui se conduit de la sorte. Peu restent fidèles à eux-mêmes au fil des ans. Je n’ai aucune réponse au pourquoi du comment, mais c’est ainsi. À nous d’apprendre à faire avec ces différences. À les accepter ou s’en débarrasser parce qu’ils ne sont plus ce que l’on aimait tant. Ça fait beaucoup de peine, je te l’accorde, mais ainsi va la vie. Il faut simplement s’entourer des personnes qui nous font chaud au cœur. Ça, nous pouvons le faire. N’oublie pas que le choix nous le possédons tous. Il nous appartient. C’est un trésor à ne surtout pas négliger. Il nous permet de rester maître de notre destin, Ella. Fais-en bon usage afin de ne plus être déçue par quoi que ce soit. Avoir le choix est une force.
─ Tu es plein de sagesse, ça ne cessera jamais de me surprendre, lui livré-je en posant mon regard sur lui.
─ Disons que je tiens cela de ma mère, dit-il amusée.

Je souris automatiquement. Sophie est associée au bonheur, à la paix et au rire.

─ Elle est formidable. Quelle chance tu as de l’avoir.
─ Tu l’as toi aussi maintenant. Le choix, rappelle-t-il, un sourire en coin.
─ Pas faux. C’est si simple.
─ Parce que ça l’est, dit-il dans un haussement d’épaules. Faut pas se compliquer la vie.
─ Belle philosophie, déclaré-je doucement en faisant à nouveau face à la vue devenue nocturne.

Un road-trip contre la déprime Où les histoires vivent. Découvrez maintenant