22.

352 44 3
                                    

Je suis une hors la loi. Je conduis une bécane sans en détenir le permis et je ne me sens pas le moins du monde mal à l'idée de me faire arrêter. Pourtant, il y a de quoi faire. Une nénette en robe de soirée et talons hauts roulant sans permis sur l'autoroute à moto... Ouais de quoi retenir l'attention de n'importe lequel gendarme.
Fort heureusement, je n'en croise aucun. Même pas au niveau des péages. Et je m'en sors pas mal niveau conduite sauf que je ne pousse pas le moteur jusqu'au cent-trente kilomètres heure. Disons que j'effleure le quatre-vingt-dix, ce qui me va amplement.
J'ai roulé toute la nuit en ayant fait deux pauses café sur une aire d'autoroute où j'ai mis le plein d'essence au premier arrêt. Dire que j'ai suscité bien des interrogations de la part des autres automobilistes est un euphémisme. Cela m'a donné la vague impression de débarquer de Mars.
J'arrive donc à Roscoff à six heures trente du matin lorsque le soleil se lève. Je suis épuisée, à bloc de caféine, pressée de retrouver Raphaël. Mon cœur ne cesse de battre sur une mesure endiablée tant me trouver si proche de lui me remue.
Je suis consciente que ma gueule doit faire peur avec sûrement des vaisseaux sanguins effroyables dans le blanc des yeux, une mine pâle parce que je me suis caillée sévère et une coiffure de folie. Mais je n'en ai que faire.
Les premières vedettes assurant la traversée pour l'île ne démarre pas avant *, je parcours donc le port à pied et avise un vieil homme à bord de son bateau.

─ Pouvez-vous me déposer sur l'île, s'il-vous-plaît ?

Ce dernier semble étonné de me voir ici et me détaille de la tête aux pieds.

─ Eh bien, que vous est-il arrivé ma p'tite dame ? me retourne-t-il.

C'est à ce point là ? en déduis-je quant à mon état apparemment plus catastrophique que je ne le pensais...

─ Juste un long trajet, fais-je en balayant l'air de la main.
─ Écoutez, ce n'est pas que je ne veux pas, mais regardez la mer s'en va. Je ne peux pas partir. La seule option est d'attendre la première vedette là-bas, me dit-il en me désignant le pont sur lequel je m'étais tenue aux côtés de Raph le premier soir de notre arrivée pour le plus stupéfiant des couchers du soleil.

Je soupire en portant mes mains sur les hanches et le remercie avant de m'éloigner. J'arpente le port jusqu'à ce que mon regard se pose sur une petite embarcation à un endroit où il y a encore assez d'eau pour quitter la ville.
Je sais que ce n'est pas bien du tout, mais je ne peux pas attendre. Je jette un coup d'œil au ciel en jurant.

─ Oh, Seigneur, mamie t'as plutôt intérêt à bien veiller sur moi pour ce coup-là.

Je prends une profonde inspiration pour m'insuffler assez de courage et ôte mes talons que je jette dans l'embarcation, puis grimpe dedans. Tout le monde doit se faire assez confiance ici, car les clés sont accrochées juste sous le petit volant.

─ Je vous revaudrais ça, Monsieur le propriétaire, murmuré-je en mettant en marche le moteur.

Un doux ronronnement résonne, alors je me hâte de défaire avec difficulté le nœud où est accosté le bateau avant de m'interroger sur la navigation.
Mon grand-père m'emmenait parfois pêcher en mer avec lui. Je me souviens donc des petites leçons de navigation qu'il s'amusait à me donner. Néanmoins, cela fait si longtemps. Après sa perte, je n'ai plus eu le loisir de retourner en mer pêcher avec qui que ce soit.
Au grand jamais je n'aurais cru un jour me voir expérimenter la chose pour retrouver un homme. Sur une île bretonne qui plus est !
Je parviens à m'éloigner du quai sous les réprimandes du vieux pêcheur auquel je me suis adressée plus tôt.

─ Désolée, mais c'est vraiment urgent ! lui hurlé-je par-dessus mon épaule.

Je fais fi de ses cris et prends la direction de l'île.
Oh mon Dieu, je suis une délinquante !
Je m'approche de l'île en prenant la direction opposée à l'embarcadère de cette dernière, cela me permettra d'accoster directement sur la plage donnant derrière la maison de pêcheurs de Raphaël.
Lorsque celle-ci apparaît devant moi, je suis émerveillée. Je devine la silhouette de Raph, un lève-tôt, qui semble déjà actif vu qu'il est en train de retaper la coque d'un bateau. Mon cœur s'emballe sous l'exaltation qui se répand dans tout mon être à sa seule vue.
Raphaël...
Mon arc-en-ciel.
Alors qu'il semble s'acharner sur l'embarcation, la mienne racle le fond et produit un bruit du tonnerre sous le niveau d'eau ne cessant de reculer et m'ayant pris par surprise.
Enfin, le vieux pêcheur m'avait prévenue...
Toute ma joie à enfin revoir cet homme se fout la malle quand l'hélice se bousille contre un rocher et où le contre-coup me fait basculer en arrière.

Un road-trip contre la déprime Où les histoires vivent. Découvrez maintenant