Chapitre 6

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Kaylee

Assise sur un banc dans les vestiaires du gymnase, je peine à retrouver mon courage. La détermination dont j'ai fait preuve, il n'y a pas trente minutes, s'est transformée en peur paralysante.
Nathan patiente sagement. Il n'a pas prononcé un mot depuis son étrange déclaration. "Je te remarquais moi" . Ces mots résonnent en moi depuis que nous sommes entrés. Je me suis tellement focalisée dessus que le stress s'était presque envolé. Du moins jusqu'à ce que Nate m'annonce que Millie n'allait pas tarder à arriver... Cette annonce à eu l'effet d'une bombe, et voyant que j'étais sur le point de me dégonfler, il m'a ordonné de poser mon cul ici et de me reprendre.

— Tu te sens mieux ? m'interroge le pote de ma sœur d'un ton compatissant.

— Pas vraiment, tu devrais y aller sans moi.

— Aller voir Mil' pour que vous vous expliquiez sur le fait que tu te sois barrée avec son mec... Sans toi. Logique !

Dit comme ça, je dois avouer que ce que je lui demande n'est pas très logique. Mais ce que je retiens le plus, c'est le ton de reproche que j'ai ressenti dans sa voix. Cette amertume me fait reprendre contenance et je trouve enfin la force nécessaire pour me relever.

— C'est parti ! m'exclamé-je avec une motivation feinte.

— Ok, Millie doit nous rejoindre sur le terrain.

— Et non ! La fabuleuse Millie est déjà là ! s'exclame une voix que je ne connais que trop bien.

Je sais qu'elle se tient juste derrière moi, dans le couloir. Je sais aussi que ma jumelle, ne s'attendant pas à me voir ici, ne m'a pas encore reconnue. Alors, sans savoir pourquoi, au lieu de me retourner, j'avance.
Rapidement, j'arrive sur le bord de l'immense terrain de basket, avec des gradins dans lesquels toute ma ville natale pourrait tenir. Un vieil homme sort de nul part et apostrophe ma sœur.

— Mademoiselle Smith ! Je vous ai déjà dit de ne pas venir batifoler dans mon gymnase avec mon meneur de jeu, surtout quand...

La voix de celui que je comprends être l'entraîneur des fameux Thar Heels s'éteint doucement. Son regard se porte derrière moi et je comprends. Il l'a vue, il nous voit toutes les deux.

— Seigneur, je savais que ma vue déclinait, mais jusqu'à présent , je n'avais jamais vu double.

Aie... Déjà avant cette histoire, Millie ne supportait pas qu'on nous compare, et les choses n'ont pas dû changer, du moins pas en bien. Le pauvre homme risque d'en prendre pour son grade. Je me retourne pour assister au drame qui ne tarde pas à arriver.

— Votre vue va en effet très mal Barrey , si vous avez réussi à me confondre avec cette sale...

— Qui que vous soyez, clone ou jumelles ,Nathan, ajoute-t-il en se tournant vers le concerné, je vous demande de vous calmer et vous laisse précisément dix minutes pour régler votre conflit et sortir d'ici. Sans quoi, votre petit ami présent, récurera le parquet au lieu d'y faire rebondir des ballons.

Sur ces mots, il tourne les talons et je remarque que Millie s'apprête à faire la même chose avant que Nate la rattrape par le poignet. Son geste est loin d'être violent, il va même jusqu'à faire un pas en avant pour accompagner le mouvement de ma sœur, pourtant tout mon corps se crispe.

— Millie, écoute au moins ce qu'elle a à te dire, implore-t-il sa meilleure amie. Après tu prendras ta décision , mais au moins tu pourras avancer.

— Ma décision est prise, et quant à ce qui est d'avancer, c'est justement ce que je comptais faire avant que tu ne m'en empêches ! J'allais avancer jusqu'à la sortie.
Folle de rage, bien plus que ce que j'avais envisagé, Millie se défait de la poigne de Nathan avant de pointer un doigt accusateur dans sa direction. Quant à moi, comme une débile, je reste figée. Mon regard balaye les deux amis. De l'extérieur, on pourrait croire que j'assiste à un match de tennis. Mais de l'intérieur, ce à quoi j'assiste n'est autre que l'explosion en plein vol de tous mes espoirs.

— Nathan ! Tu m'as trahie, tu m'as menti pour me traîner ici, devant cette...

Elle se retourne vers moi. Ça y est, c'est mon tour. La sentence.

— Cette chose, ce fantôme. Je ne vais même pas me fatiguer à prononcer ton prénom. D'ailleurs , je m'en rappelle même plus, je t'ai effacé de ma mémoire il y a un an. Le jour où ma sœur jumelle est morte, celui où elle s'est enterrée elle-même.

Je reçois ces paroles comme un uppercut en plein ventre. Ma gorge se noue, ma respiration n'est plus une chose naturelle, si bien que je suis obligée d'y penser pour qu'elle revienne à la normale. Inspire, Expire.

— Millie, je veux juste t'expli...

— Nathan, on bouge, je dois régler mes comptes avec toi là, je parle pas avec les fantômes.

Et soudain, je suis seule. Après un regard désolé de la part de Nathan, ils me laissent dans ce gymnase vide, en proie à des émotions que je ne parviens pas à identifier. De la haine ? De la déception ? De la tristesse ? La seule chose que je sais, c'est que je suis lasse, que je veux rentrer, et dormir jusqu'au début des cours. Soit dans trois jours... Je regarde autour de moi, avance vers la sortie et me rends compte que trois jours c'est le temps qu'il va falloir pour que je retrouve mon dortoir. Mais quelle idiote ! Pourquoi j'ai aveuglément suivi Eva et Nate au lieu de me débrouiller toute seule ? En venant sur ce campus, en choisissant de m'inscrire à l'université je m'étais jurée de me débrouiller par moi-même, de ne compter sur personne. À peine une journée et j'ai déjà raté les deux seuls objectifs que je m'étais fixés. Je n'ai pas renoué avec ma frangine, et je suis perdue.

— À votre inscription on a dû vous donner un code d'accès pour l'application mobile de l'université.

Super. Comme si ce n'était pas assez dur, il y a maintenant un spectateur de mon désarroi.

— Euh oui, merci monsieur Barrey, dis-je en me rappelant miraculeusement le nom du coach. Mais je ne vois pas à quoi cela va me servir.

— Le campus est grand, on a vite fait de s'y perdre. Le pôle informatique a mis en place un GPS interne avec l'aide du service de surveillance. Vous n'avez qu'à entrer votre destination et suivre la petite flèche.

J'aimerais lui dire que je ne suis pas perdue, que je n'ai pas besoin d'aide, mais je n'ai plus assez de force pour mentir aujourd'hui.

— Merci monsieur Barrey.

— Faites donc comme tout le monde, appelez moi coach mademoiselle...

— Smith.

— Une deuxième donc, que Dieu me vienne en aide, plaisante-t-il.

— Je suis Kaylee. L'autre Smith n'est autre que ma sœur jumelle.

— Je l'aurais deviné Kaylee. Allez, filez maintenant. Et ne vous en faites pas, vous allez retrouver votre chemin facilement.

— Grâce à vous. Merci.

— Je parle de votre chemin mademoiselle, pas de votre route. Au revoir.

Perplexe quant à la dernière parole du vieil homme, je choisis tout de même de l'écouter et de rentrer, avec l'aide précieuse de l'application. Il me faut une dizaine de minutes pour arriver à Laurel Hall et presque autant pour retrouver ma chambre. Incapable de me poser, je prends une douche en repensant à ce que Barrey m'a dit. J'ai bien retrouvé ma route, mais pour ce qui est de mon chemin je suis moins confiante que lui.

L'avenir me le dira. 

Broken SistersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant