Chapitre 8

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Kaylee

Presque deux semaines sont passées depuis que je suis allée sur le terrain et rien n'a vraiment changé. En vérité, absolument rien n'a changé. Je n'ai pas d'amis, je n'ai pas renoué avec ma sœur, et pour couronner le tout, il ne m'a fallu qu'une dizaine de cours pour savoir que je galérais en psycho, ma matière principale.
D'ailleurs, ce matin, c'est par cette matière que ma journée commence, et si je ne veux pas être en retard, j'ai plutôt intérêt à me bouger. C'est dans cette optique que je me rends dans la salle de bain pour me préparer.

— Chalut , me salue Eva, la bouche pleine de dentifrice

— Salut toi, t'as réussi à dormir cette nuit ?

Son copain, pour qui elle s'était inscrite ici, l'a quittée seulement quelques jours après la rentrée. Depuis, c'est un vrai fantôme. Il n'y a pas un matin où je ne l'aie pas trouvée les yeux gonflés d'avoir trop pleuré.

— Bof. C'est de mieux en mieux mais c'est pas encore ça, répond-elle après avoir craché. Je fondais beaucoup d'espoir en cette relation.

— Mauvaise idée. Il faut bannir les mecs, lui conseillé-je en soulignant mon regard d'un soupçon de mascara.

— J'essaye... Bientôt, il ne sera plus qu'un mauvais souvenir.


Eva a prononcé ces derniers mots la gorge nouée et les yeux pleins de larmes. Bon, pour ce qui est d'aller mieux, c'est pas gagné, mais pour s'efforcer d'effacer ce type de sa vie, elle est bien partie. Ma colocataire n'a jamais voulu prononcer son nom. À croire qu'elle sortait avec Voldemort. Enfin... Chacun panse ses plaies à sa façon.
Et en parlant de douleur psychique, il est maintenant plus que l'heure que j'aille apprendre à guérir celles des autres. Je termine donc de faire mon chignon, vérifie qu'aucun de mes cheveux ne dépasse et sors de l'appartement après avoir souhaité une bonne journée aux filles. Dans le flat, nos contacts se limitent à ça. À part Eva avec qui j'échange quelques mots de temps en temps, je ne fais que croiser les autres. Une est de sortie en permanence et rentre généralement à l'heure où on se lève, pas sûr qu'elle fasse long feu à l'université, et l'autre est un bourreau de travail toujours enfermée derrière son bureau.

J'arrive à l'heure, même un peu en avance, ce qui me laisse le loisir de choisir une bonne place dans l'amphi. Ni trop au fond, ni trop près. Si je dois noter une bonne chose aux deux semaines que je viens de passer, c'est qu'au moins, j'ai enfin appris à me repérer. Je ne me perds quasiment plus, ce qui me donne enfin l'occasion d'avoir le temps de sortir mes affaires avant que le prof s'installe. Le cours d'aujourd'hui porte sur les maladies mentales que l'on appelle "folie". Mes doigts glissent à une vitesse folle sur le clavier pour réussir à suivre le débit de parole de l'intervenant.

— N'oubliez pas qu'un diagnostic est long à établir, ça ne se fait pas en une séance. Ce sera tout pour aujourd'hui, conclut le prof au bout de deux heures.

Je ressors de la salle en ayant l'air tout aussi cinglée que les sujets que nous avons étudiés. Mon cerveau est en marmelade. Je ne pense qu'à deux choses, manger et dormir pour emmagasiner toutes les informations que je viens d'apprendre.

Pour la première étape de ma récupération mentale, je file en direction du Subway. Les sandwichs c'est mon péché mignon. Si je ne devais manger qu'une chose jusqu'à la fin de ma vie, ce serait ça. Pressée d'arriver et de dévorer le Graal, je ne fais pas attention à ce qui m'entoure. C'est donc avec un hurlement on ne peut plus sonore que j'accueille la personne qui me tape sur l'épaule pour que je m'arrête. Je me retourne et... Nathan. Suivi de près par nul autre que Millie qui me fusille du regard.

Je retire les écouteurs que j'avais enfilés pour marcher en musique et constate que la faim que je ressentais s'est instantanément changée en angoisse.

— Coucou, qu'est-ce que vous faites là ? lancé-je pour désamorcer la situation.

— On t'a vue passer et je me suis dit que ce serait sympa de te saluer, répond Nathan alors que ma sœur continue d'essayer de me tuer avec ses yeux.

— D'accord, je partais manger, tu veux venir ?

— Non, il veut pas venir, non, tranche ma jumelle. D'ailleurs tu devrais nous foutre la paix et je sais pas... changer de campus, d'État ou mieux encore, de pays !

Durant quelques secondes, je me dis qu'elle à raison, que ma place n'est pas ici. Puis je la regarde cramponnée à Nate et je remarque à quel point elle a changé. Millie est devenue une de ces pétasses superficielles dont elle se moquait. Je pourrais en rire, mais je la connais suffisamment pour savoir qu'elle s'est forgé une carapace à cause de ce que je lui ai fait. Derrière ses ongles parfaitement manucurés, ses cheveux criards et ses fringues moulantes, ma jumelle est cassée. Et c'est pour réparer ça que je suis là. Alors je me lance.

— Milliemil, soufflé-je en utilisant le surnom que je lui donnais petite. Laisse-moi une chance de t'expliquer, de te parler s'il te plait.

Son meilleur pote de toujours me fixe avec un regard empli de douceur et de compassion. Ça me donne le courage de poursuivre.

— Je sais que j'ai merdé, que j'ai foutu le bordel dans nos vies et que tu m'en veux, t'as toutes les raisons de le faire mais...

— Mais rien du tout ! crie-t-elle en s'avançant brutalement vers moi.

Son geste me fait reculer et je manque de trébucher. Nathan tend la main vers moi comme s'il avait l'intention de me rattraper mais je parviens à me stabiliser, évitant ainsi de me ridiculiser. Comme si rien ne s'était passé, elle poursuit.

— Je te dois rien, j'ai pas à t'écouter, y a plus de Milliemil, pour toi y a même plus de Millie crache-t-elle. Je peux peut-être pas t'empêcher d'étudier ici mais crois-moi, je vais faire en sorte que tu ne gâches plus rien. Tu ne me prendras pas ma vie une fois de plus.

— Je t'ai pas pris... Enfin ok, je suis partie avec Peter mais c'était pas, fin...sous la pression je me perds dans mes explications et fini par bégayer lui laissant l'occasion d'enchainer.

— T'as à peine mis un pied ici que t'a déjà foutu le bordel. A cause de toi j'ai gueulé sur le coach Barrey, j'ai pas eu la tête à faire la fête et mon meilleur ami passe son temps à essayer de nous réconcilier plutôt que s'éclater avec moi et de se concentrer sur le basket. Alors laisse-moi tranquille, et lui aussi.

J'ai envie de lui répliquer que Nathan est assez grand pour prendre ses propres décisions et choisir ses fréquentations, mais jeter de l'huile sur le feu qui fait rage en elle n'est pas une bonne idée. Je reste donc muette, sans pour autant baisser les yeux.

— Kaylee. Tiens-toi loin de nous. Nathan vient à peine de rompre avec sa copine il a autre chose à penser que ta petite personne. Moi, j'ai envie de profiter de mon année de fac et de toute façon, je pensais plus à toi depuis longtemps. On va continuer comme ça et tout ira très bien pour tout le monde.

— On n'est pas que sœur, on est jumelles, dis-je doucement. J'ai merdé et j'en suis consciente, mais tu me manques et j'ai besoin de toi dans ma vie. Tu ne veux pas me pardonner ? Soit. Mais sache une chose, je suis là et je n'irai nulle part. Nathan, désolé pour ta rupture, j'espère que ça va.

— Ça va, merci de demander, on était pas fait pour être ensemble, me répond le concerné en souriant. Et Eva, comment elle va ?

Il faut quelques secondes à mon cerveau pour faire le lien. Rupture, Eva... Putain ma coloc sortait avec le meilleur ami de ma sœur ! Je suis censée faire comment pour ne pas me retrouver dans des histoires quand le monde est si petit ?

Les deux acolytes jugeant que la conversation est close, ils me laissent là. Alors que ma sœur tourne simplement le dos, Nathan me fait un petit signe de tête, sa gentillesse me touche. Je reprends le chemin de Subway et une fois sur place, passe ma commande. Il faut moins de cinq minutes pour que je sois servie et que je m'installe dans un parc attenant. En mordant dans mon sandwich au poulet, je ressasse ce qui vient de se passer. J'aurais peut-être mieux fait de rester au lit ce matin finalement. Puis non. Il y a quand même quelque chose de bon à tirer de ma journée. Nous ne nous sommes peut-être pas réconciliées, mais elle m'a parlé. Ma sœur m'a parlé. À moi directement, elle a même dit mon prénom. Et ça, c'est à noter comme nouvelle fête nationale sur le calendrier de ma vie.  

Broken SistersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant