Les notes sont sorties depuis ce matin, mon ami fait les cent tours dans le salon, rongeant son frein en silence. Lui d'ordinaire bavard dès l'aube est muet comme une tombe. Il finit par se laisser tomber dans le canapé, soulevant un jet de poussières qui me provoque une quinte de toux incontrôlable. Je peine à avaler une gorgée d'eau pour me calmer, la bouche asséchée.
Nos yeux font des allers-retours entre le pendule et un point invisible à nos pieds, n'osant pas se croiser de peur d'y transmettre toute la tension qui nous remue l'estomac depuis au moins trois heures. L'angoisse mijote depuis trop longtemps, je sens que si l'un de nous se décide à parler, l'ambiance risque de vite s'envenimer.Neuf heures trente finit par sonner, FuryFuryus qui avait déjà l'onglet servant de support à la remise de notes ouverte se rue sur l'encadré demandant son identifiant. Avec des doigts flageolants, il entre une série de chiffres qu'il relit plusieurs fois avant de valider. Une deuxième page prend alors le relais, blanche et vide. Presque vide. Il lui faut zoomer sur son téléphone pour pouvoir décrypter le tableau ridiculement simple sur lequel se joue son avenir. Je ne peux pas voir le détail de ses résultats, par respect pour lui, je me détourne, prenant mon mal en patience. On avait dit qu'on les regarderait ensemble ces notes, on avait dit qu'on se soutiendrait à deux, c'était acté. Je sonde à la place le visage tendu de mon ami, sa lèvre inférieure à un sursaut. Il a les pouces qui percent presque l'écran et ses yeux qui deviennent progressivement humides, l'arrête de son nez se plisse, se tord et voilà qu'il explose en un rire étrange, nerveux certainement. Je pose une main sur son épaule et me penche sur son téléphone pour comprendre.
Aucune note n'atteint la moyenne, elles sont criblées de chiffres après la virgule, aussi aléatoires que son identifiant, débordant même sur les limites du tableau pour continuer leur route en dehors de la page. C'est insensé...
- Tu vois Solius, s'écrie mon ami d'une voix brisée à force de rire, il n'y a rien que l'échec qui anime nos vies.
- Attends FuryFuryus, je balbutie, perdu. Il y a un problème avec les résultats, ils se sont trompés, ils..
Mon interlocuteur n'écoute pas, il est allé chercher les derniers bocaux d'herbes pour les grignoter nerveusement, toujours secoué d'une hilarité qui me terrorise de plus en plus.
- FuryFuryus, arrête ça...
- Laisse-moi Solius, j'ai besoin de m'isoler. Pour une fois, laisse-moi un peu.
Il remonte dans sa chambre en courant, pâle. J'ai l'impression qu'il va tomber dans l'escalier à tout moment tant sa démarche est chancelante. Il devient vain de l'appeler ou de le comprendre, il a claqué la porte derrière lui.
Son téléphone laissé comme un naufragé sur la table du salon, je m'en empare pour y chercher mes notes. A la hâte, je tapote mon identifiant.
5 ; 3 ; 12 ; 9 ; 16 ; 19 ; 5
Je rentre le nombre avec lequel je suis recensé et patiente pendant le chargement. Le site doit être submergé de visites, j'ai peur qu'il plante.
Finalement, ce que je redoute plus que tout s'affiche par petite portion, je ne discerne pas de décimales cependant.
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Qui l'eût cru qu'un jour, une grande chèvre me renverserait ?
ComédieLa réincarnation, un concept assez vague pour certains. Pour d'autres, c'est la rédemption, voire un moyen de recommettre ses erreurs. Mais pour Solius, un gringalet fou, c'est plus une question d'arnaque. Mort jeune, renversé par une grande chèvre...