2. Par la Sainte Mère, pouquoi ?

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C'est fou comme mon arrivée attire aussitôt l'œil. En descendant au rez-de-chaussée, j'entends des morceaux de cris de joie qui fusent au dehors.


- ... nouveau !! Un nouveau !

- ...ny, va le saluer ! Allez !


Les voix gloussent comme des dindons, j'ai envie de me terrer dans une fourmilière pour ne plus bouger. Comment diable ont-ils pu me repérer déjà ?


Puis mince quoi, je ne veux voir personne moi !


La boule au ventre, je me réfugie dans la cuisine pour grignoter quelque chose, ça va me détendre... Puis ça fait bien une heure que je n'ai rien avalé, avec toutes ces émotions fortes, je suis vidé.


Le mobilier est en bois vert sombre mais il est facile de deviner qu'il était brun à l'origine, la peinture s'est effritée avec le temps, on dirait même qu'elle a été griffée verticalement à plusieurs reprises. Je fouine dans les placards et y trouve quelques bocaux et des bouteilles presque opaques et tapissées d'une bonne couche de poussière, des brins d'herbe sont éparpillés ça et là dans les quelques tiroirs que je tire, il y a des couverts qui ont perdu leur aspect argenté, ils sont d'un gris triste. Je fais glisser mon doigt dessus, ils sont de la couleur de ma peau mais ils n'ont pas l'air d'avoir été un jour utilisés. Elle date du siècle dernier cette bâtisse ?


*


J'ai visité toutes les pièces, il y en avait bien une dizaine. J'ai fait le tour de la salle de bain faiblement éclairée et dotée d'une porte coulissante, quand j'ai tiré sur celle-ci, je suis tombé sur une petite salle sombre et olfactivement lourde d'humidité. A l'aveugle, j'ai dû escalader ce qu'il semblait être une baignoire pour atteindre les fenêtres au sommet du mur. Aussitôt ouvertes, l'air est devenu plus respirable et un filet de lumière s'est engouffré. Une ventilation laissait s'entasser la crasse dans un coin de pièce, j'ai soupiré en maudissant Clopélius, bizarrement une bourrasque s'est ensuite glissée ébouriffer mes cheveux, j'ai juré de plus belle.

Le salon était comme la cuisine, comme ma chambre et tout le reste, rustique, au papier peint pâle, d'un beige grisâtre. J'avais le droit à une cheminée, il y avait même quelques bûches baignant dans une sauce de cendres. Et puis, nouvelle surprise, en poussant un portillon en bois, on arrivait dans une salle ouverte sur l'extérieur (un extérieur que j'ai supposé être une arrière-cour quoique ça relevait plus d'un monticule de fourrés et de ronces qu'autre chose) où j'avais tout un nécessaire pour puiser l'eau et un énorme sceau en prime. J'ai grimacé avant de revenir sur mes pas.


*   


Bon. Bilan de cet état des lieux : cette Déesse bidule s'est bien fichue de moi, non mais quelle arnaque... Cette maison a été délaissée une dizaine d'années au moins et c'est moi qui dois rattraper la casse maintenant. Quelle perspective d'avenir réjouissante, c'est ce à quoi j'aspirais avant de mourir. Ça valait vraiment la peine d'être réincarné ? 


- Raaah punaise ! je soupire avec un sourire crispé.


BIGRE !!!


Une punaise vient réellement de filer entre mes pieds, elle s'est réfugiée sous une commode. Ni une, ni deux, j'attrape un balai et commence à taper frénétiquement le plancher en hurlant. J'ai un frisson de dégoût quand en poussant le meuble sur le côté une horde de blattes détalent vers l'arrière cour, quelques unes ont même tenté de remonter le long de mes jambes, j'ai alors entamé un numéro de claquettes.


Je suis essoufflé. D'un pas rageur, j'ouvre grand tous les placards de la cuisine, j'ai vraiment besoin de me remplir. J'attrape un bocal et le dévisse, et quand le couvercle finit par céder, j'ai les doigts en feu, ils sont rouges et ça contraste avec la teinte de ma peau. Ma déception me brûle le ventre quand je ne vois rien de comestible à l'intérieur, seulement des brindilles tordues et mêlées à de l'herbe. Tassées ensemble, elles forment des boulettes. Je réitère avec d'autres bocaux mais même constat. J'ai envie de tout jeter contre les murs.


- Clopélius, j'ai faim !


Je lève les yeux au ciel, je sais qu'elle peut m'entendre.


Pour toute réponse, la porte d'entrée s'ouvre à la volée. Elle veut que je sorte ? Il en est hors de question !! Je ne veux pas voir mon voisin qui à l'air de glousser de bon cœur ! 


Une autre tournée de blattes jaillit -du lavabo cette fois- et dévale le mobilier comme une vague pour venir à ma rencontre, je ne leur laisse pas le temps d'arriver jusqu'à moi que je suis déjà dehors, à bout de souffle. J'attrape le col de mon sweat et m'évente avec un râle, des cheveux collent à ma nuque. Même à l'extérieur, il fait une de ces chaleurs.


Je mets un certain temps à me rendre compte qu'un silence de plomb est tombé dès l'instant où je suis sorti, les éclats de voix se sont évanouis. En me retournant, je vois qu'un troupeau s'est tassé devant le "poulailler". Ils ont tous des drôles d'oreilles et des cornes, comme moi. Ils ressemblent à des chèvres.






Att-









Ils ressemblent à des chèvres, ils ME ressemblent.




Par la Sainte Mère...



Qui l'eût cru qu'un jour, une grande chèvre me renverserait ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant