Prologue : qui l'eût cru qu'un jour, une grande chèvre me renverserait ?

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- Yihaaaa

C'est la dernière chose que j'entends avant que ma tête ne cogne lourdement le bitume. Je sens vaguement mon crâne émettre un horrible craquement avant qu'une douleur aigüe ne jaillisse comme un coup de tonnerre. Je vais pour hurler quand le ciel si clair devient une marée de pétrole. Ce n'était pas une marée, je viens juste de perdre connaissance.


Bigre, quel galère !!


Je divague dans un trou noir perpétuel où passent quelques fois des souvenirs de la vie que je menais jusqu'alors paisiblement. Je vois des scènes de mon enfance défiler au loin et quand je tends la main pour les effleurer, ils se décomposent, s'évaporent comme un volute de poussières. Je me contente alors de scruter sans toucher. Ici, c'est la fois où j'ai mangé la chèvre du voisin, j'avais eu fort faim il faut dire même si ce dernier n'avait pas eût l'air très joie après coup. Et là, c'est le jour où j'ai adopté une belette, toute blanche et scintillante. J'avais réussi à convaincre mes parents d'en prendre une, c'était peu après l'incident de la chèvre. Ils avaient sans doute peur que je la mange aussi (mais je n'ai jamais cédé à la tentation).

Un flash me détourne de cet instant de nostalgie, un autre ne tarde pas à le succéder. Puis un autre, puis des centaines d'autres, je ploie comme un roseau. Mes paupières pourraient fondre tant la clarté est incommensurable, c'est aveuglant, c'est même douloureux en contraste avec l'obscurité d'il y a deux secondes.

Je suis un peu perplexe... Ce matin, je me suis pourtant levé de bon pied, j'ai pris mon habituel bol de céréales sans sucre, sans goût, j'ai brossé mes dents sans m'infliger de coups critiques dans le gencive. J'ai bien attaché mes lacets... J'ai même sorti les poubelles sans que ma mère ne me l'ordonne. Qu'est-ce que je fiche ici ? Dans cette pièce aux murs blancs immaculés, enfin murs, je n'en vois pas les limites de cette salle, elle ne doit même pas en avoir. A vrai dire, je me souviens tout de même d'un énorme fracas, juste au moment où j'allais emprunter le passage piéton. 


- Moui, déclare une voix aux sonorités mélodieuses, tu as été renversé par une grande chèvre mon pauvre. On t'avait pourtant dit de bien regarder avant de traverser.


Que--


Je fais volte-face. Une drôle de dame vient de surgir dans mon dos. Ses cheveux nacrés flottent comme une rivière qui ne serait pas soumise à la gravité, ils sont en mouvement constant et sa peau est d'une pâleur surnaturelle, diaphane et lisse comme du miel. J'ai un mouvement de recul lorsque mes yeux rencontrent les siens, ils luisent comme deux diamants parsemés d'éclats. 


- Qui êtes-vous ?


Elle vient se poster à un mètre devant moi. Son corps long et ample me surplombe instantanément et la soie de ses larges manches vient chatouiller mes épaules crispées. 


- Je suis Clopélius grand fou. 

- Je ne suis pas fou, je marmonne dans mes bottes, je suis juste un tantinet imprudent. C'est vrai cette histoire de chèvre ?


Honnêtement, je pense à une belle blague. Personne ne meurt ainsi.


- Mmh je suis on ne peut plus sérieuse. (ses lèvres s'étirent avec malice) Tu viens d'arriver dans un au-delà, ton crâne a été salement ouvert tu sais. A l'heure actuelle, tu es transporté de toute urgence à l'hôpital.

Qui l'eût cru qu'un jour, une grande chèvre me renverserait ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant