5. Puis-je réellement m'abreuver de lait de chèvre ?

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Je crois me souvenir vaguement d'un phasme humanoïde dans mon enfance. Il avait des bâtons en guise de bras et de sa main, il a attrapé la mienne pour que je retrouve mon chemin. Ce jour là, j'avais couru trop longtemps à travers les champs avec mon airbus miniature et mes jambes avaient commencé à gratter atrocement quand j'avais fini par me rendre compte que mes parents avaient disparu.


Je plisse les paupières dans un râle, le jour s'est levé depuis belle lurette mais je refuse de quitter mes rêveries. J'attrape mollement un pan de la couette pour le glisser devant mes yeux,  j'ai la base du dos à l'air et un mollet qui pendouille au bord du lit, de plus, je ne cesse de somnoler toujours à cause de la cloche qui sonne toutes les heures. Cependant, rien à faire, je m'accroche au sommeil, je veux retrouver le visage de mon sauveur. 


- TOC TOC TOC !


Je sursaute. J'ai par réflexe dégagé un bras agacé à la recherche d'un réveil, bien entendu, je ne tâte que le vide et les quelques cloportes qui trottinent sur ma table de chevet. Excédé, je saute hors de l'amoncellement de couvertures et dévale l'escalier à toute vitesse, une myriade d'insultes en tête. Je manque de perdre l'équilibre à deux reprises en plus d'un écran noir s'est glissé devant mes yeux.


J'ouvre la porte à la volée.


- C'est pour quoi ?

- Voici votre lait-ci, votre lait là, votre lait HA HA HA HA !

- Quoi ?


Un hybride comme moi doté de cornes et d'oreilles longues me tend une bouteille couleur d'argent, comme je ne réagis pas, il la pose à mes pieds. Il porte un drôle d'uniforme : une veste sombre strictement boutonnée jusqu'à son col et des chaussures luisantes à talonnettes. Sur sa tête est fixé un couvre-chef - un genre de képi - si profondément que l'on ne voit rien de son front, ni même de ses yeux. Il me sourit avec automatisme et me souhaite une bonne journée avant de grimper sur une grande bicyclette. Une remorque y est attachée, remplie à ras bord de bouteilles toutes identiques.


Du lait ? Mais du lait de quoi ?


- Du lait de chèvre bien évidemment ~


Je manque de détaler de peur à travers les fourrés. Lenny, attablé au linteau de sa porte d'entrée me scrute avec un sourire hilare, goulot en bouche. Il ressemble à un bel ivrogne avec sa chemise bien trop grande pour lui dont les boutons sont attachés une fois sur deux et de traviole qui plus est. Si ses manches n'étaient pas retroussées, j'aurais manqué ce détail qui fait sens quand au départ précipité de la veille : ses bras sont couverts de fins morceaux d'arcs de cercles carmins. Impossible à rater tant le rouge ressort vivement sur une peau si pâle. Son visage est intacte ceci dit.


- Qu'est-ce qu'il t'a pris hier ? je demande abasourdi.

- Hm ? Quoi donc ?

- Ton départ par l'arrière cour, tu ne savais pas que c'était rempli de ronces ?

- Oh si, c'était amusant, si tu avais vu ta tête après ça...

- Tu-- 

- Je ne t'ai pas vu, rectifie-t-il en prenant une nouvelle gorgée de lait, je t'ai imaginé et c'était cocasse.

Qui l'eût cru qu'un jour, une grande chèvre me renverserait ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant