Chapitre 6

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ANYA

Quand il entre dans la salle à manger, l'air devient soudainement plus lourd, moins respirable et emplit d'une odeur de luxure et de sang. C'est comme si le diable venait d'entrer dans la pièce. Son regard ténébreux nous observe tous un par un. Il n'a pas l'air surpris de nous voir tous assis à table, ou alors il ne laisse rien paraître. Il reste dans l'encadrement de la porte, figé comme du marbre et de notre côté, plus personne ne parle. Il lance un regard circonspect au patriarche, qui se contente de hausser les épaules. Je remarque qu'il porte les mêmes vêtements que la veille au soir et je me demande où il a passé la nuit. Sa chemise noir est deboutonné au col et des traces blanches de provenance douteuse tachent le tissu à plusieurs endoits. Son regard se pose finalement sur moi et sa mâchoire se contracte. Ce simple changement d'attitude quand c'est moi qu'il regarde fait battre mon cœur plus vite. L'enfant que j'étais aurait sûrement baissé les yeux mais cette fois-ci je soutiens son regard avec férocité. Contre toute attente, il me sourit, comme satisfait de ma réaction. Sans rien dire, il s'assied en face de moi à côté de Tatiana. Le nez de ma sœur se fronce alors qu'elle le jauge de haut en bas.

– Tu sens la mort Raz.

– J'aime cette odeur, se contente-t-il de répondre en affichant un sourire sardonique.

– Vraiment va prendre une douche, c'est une infection.

Elle se pince le nez sans pouvoir s'empêcher de rire et je ressens soudain une pointe d'envie en étant spectatrice de leur dynamique. J'en veux à mon père de m'avoir éloigné et exilé à Moscou. Peut être que si j'étais restée, j'aurais pu, moi aussi rire avec lui de manière si naturel. Au lieu de me contenter de regard plein de sous entendus et de fantasmes qui se réalisent uniquement la nuit dans mes rêves. Ma soeur se lève et pose une main sur son épaule. Il lui tapote la paume avec affection et le goût insipide de la jalousie tapisse ma langue. J'en viens à me demander s'il ne s'est pas passé quelque chose entre eux. Je connais la reputation de Raz et ma soeur est une très jolie femme. Elle est à peine plus jeune que lui, il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils aient déjà couché ensemble. Bon sang, je déteste cette idée. Les imaginer nus, ensemble, me retourne l'estomac.

– Tout va bien Anya ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette tout a coup, intervient mon père.

Il m'observe, la mine grave. Je réalise alors que j'ai les poings serrés sur mes couverts et que je contracte la mâchoire à m'en casser les dents. Tati et Raz semblent également avoir remarqué ce changement dans mon comportement parce qu'ils suspendent leur geste et me lancent des regards inquiets. Je tente de sourire mais tout ce que je ressens en cet instant est une profonde haine pour ma sœur et le besoin viscérale de posséder Raz. Je le veux tout entier, qu'il m'appartienne pour toujours. Il est à moi, à moi seule. Je refuse que quiconque à part moi puisse poser ses mains sur lui. Les voir si proches me donne des pulsions meurtrières que je peine à maîtriser.

Depuis mon enfance j'ai été sujette à des crises de colère qui étaient souvent hors de contrôle. Ma mère se retrouvait souvent impuissante face à mes caprices et mes hurlements. En grandissant j'ai essayé de travailler sur mon tempérament et prendre sur moi. Mais la possessivité que je ressens pour Raz dépasse l'entendement. Ma respiration s'accélère alors que j'essaye de contenir la rage qui boue en moi. Il faut que je sorte de cette pièce, avant de faire voler les assiettes et de ruiner par la même occasion toutes mes chances avec lui. A part me faire passer pour une dingue, cette crise d'hystérie ne mènera à rien de bon. Je me lève alors, le corps secoué de tremblements et je me rue en dehors de la pièce sans leur adresser un mot ou un regard.

J'ouvre violemment la porte d'entrée et le vent me fouette le visage. Sa morsure glaciale fait peu à peu chuter ma colère. Et comme après toute crise, je suis envahie par la culpabilité. Je pensais que ces sautes d'humeur étaient derrière moi. Je n'en avais plus fait depuis des années mais c'est comme si la présence de Raz faisait ressortir tous mes vieux démons. Je sais que c'est en partie à cause de ça que notre père m'a laissé recluse à Moscou. Sans doute avait-il peur que mon tempérament soit exacerbé dans un environnement aussi violent que le sien. Il avait peut être raison, qui sait ce que j'aurais bien pu devenir si j'avais grandi au milieu de toute cette violence. Peut être quelque chose de bien pire. Peut être que ce serait moi le démon des Romanov et pas Raz. Quoi qu'il en soit, je suis ici aujourd'hui, là où est ma place et je compte bien y rester. Il me suffit juste de contrôler ses pulsions de rage qui me rendent totalement aveugle. C'est comme si je faisais un black out et que je ne contrôlais plus mes gestes ni mes pensées.

Romanov's DemonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant