Deuil

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Je ne sus jamais comment la discussion entre ma cousine et mon père se déroula. Je ne pus que présumer que cela se passa mal. Et je ne suis pas la seule, d'autres bien plus tard en son arrivés à la même conclusion. À midi, mon père annonçait la mise à mort d'Antigone.

Hémon, dévasté par la nouvelle, s'était empressé de me rejoindre. Mon frère qui avait couru de femme en femme avant de tomber éperdument amoureux d'Antigone, semblait lui-même condamné à mort. Je n'avais jamais vu mon frère si vulnérable. Je le savais romantique. Je savais que son cœur le guidait plus que son esprit. Mais je ne me doutais pas que la perte de sa fiancée pourrait l'anéantir à ce point.

— Que vais-je devenir sans elle ?, gémit-il dans mes bras. J'ai essayé de lui parler, de le persuader de lui laisser la vie sauve, mais il ne veut rien entendre.

Les sanglots qu'il tentait tant bien que mal de retenir l'empêchaient de respirer. Le chagrin l'étouffait littéralement. Un sentiment d'impuissance m'accablait à nouveau. J'avais déjà plaidé la cause d'Antigone auprès de mon père. Que pouvais-je faire de plus ?

Alcide entra brusquement dans la pièce alors que mon frère se laissait envahir par le chagrin.

— Je suis désolé, dit-il à Hémon. J'ai tenté de raisonner Créon, mais il n'a rien voulu savoir. Il reste ferme sur ses positions. Je ne sais pas ce qu'a pu lui dire Antigone, mais je pense que cette fois elle est allée beaucoup trop loin.

Les pleurs d'Hémon redoublèrent. Je luttais moi-même pour ne pas me laisser submerger par le chagrin. Antigone était comme ma sœur. La perdre me déchirait de l'intérieur. La décision de mon père me révoltait au plus profond de moi. Si j'avais pu, j'aurais mis la cité à feu et à sang pour sauver la vie de ma cousine. Mais je ne le pouvais pas. Il fallait que je me montre forte. Il fallait que je soutienne mon frère dans cette épreuve. Je ne pouvais pas me permettre de sombrer. Si je le faisais, je risquais de couler pour toujours...

En milieu d'après-midi, la nouvelle de la condamnation d'Antigone avait fait le tour de la ville. Ma cousine serait emmurée vivante au coucher du soleil. Personne n'avait réussi à raisonner mon père. Les ouvriers s'attelaient déjà à mettre en place la structure où serait placée Antigone. Hémon n'était plus que l'ombre de lui-même. J'essayais de faire bonne figure, mais je savais que j'étais sur le fil. Cette semaine avait été éprouvante. La mort de mon frère rapidement suivie de celle de mes cousins, et maintenant Antigone. Tous mes proches mouraient les uns après les autres. Pourquoi s'acharner autant sur une même famille et en si peu de temps ? C'est la question que je me posais en boucle. Le destin que les dieux prévoyaient pour nous était sombre. À quoi bon vivre si autour de nous tout s'écroulait ?

Mon père nous rassembla dans la salle du trône afin de faire une déclaration publique avant de sceller le sort de sa nièce à jamais.

— Les lois s'appliquent à tous, commença-t-il. J'avais expressément proscrit le droit de Polynice à recevoir une sépulture. Son âme devait être condamnée à errer sans trouver le repos.

La voix de mon père était ferme, cependant les traits de son visage trahissaient le duel que son cœur menait contre sa raison. Condamner Antigone le faisait souffrir autant que mon frère et moi.

— Ma nièce, Antigone, a désobéi à mes ordres, reprit-il plus fermement encore. Ses actes, couplés à son insubordination, justifient aujourd'hui sa condamnation à mort.

Quelques personnes présentes s'exclamèrent face à cette déclaration. La rumeur s'était répandue, on savait que quelqu'un avait été condamné, mais l'identité du coupable était restée secrète jusqu'à lors. Certains admiraient la fermeté et l'objectivité dont faisait preuve leur roi. D'autres, au contraire, s'indignaient de voir condamner la sœur du précédent souverain.

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