Le Fléau de Thèbes

42 5 6
                                    

Commençons par le commencement. J'ai vu le jour au début du printemps dans la bien connue cité de Thèbes. Dès ma naissance, la ville était plongée dans le chaos et le malheur qui ne la quitta presque jamais. Au début de mon existence j'ai principalement été témoin des catastrophes qui ont marqué Thèbes et ma famille.

Le fléau, comme on l'appelait, faisait des ravages au sein de la cité. Hommes, femmes, enfants, bétail, tous sans exception mourraient dans d'atroces souffrances. Quel monde pour donner naissance à un enfant !

Il faut croire que l'anarchie qui ravageait la ville n'atteignit pas le palais. Mon oncle Oedipe, devenu roi de Thèbes après avoir vaincu l'horrible Sphinx, régnait depuis maintenant cinq ans sur la cité grecque. De son mariage avec ma tante Jocaste sont nés quatre enfants : Étéocle, Polynice, Ismène et Antigone. Mes parents, Créon et Eurydice, ont de leur côté eu deux fils que je ne vienne au monde : Ménécée et Hémon.

Je sais, certains de ces noms vous sont certainement familiers.

Antigone et moi avons toujours été proches. C'est ma cousine préférée. Mon père s'étant marié sur le tard, nous n'avions toutes les deux que quelques semaines d'écart. Bébés, nous dormions dans le même berceau. Plus tard, en grandissant, elle a été comme une sœur pour moi qui n'ai malheureusement eu que des frères casse-pieds.

Le fléau qui régnait sur la ville s'est déclenché peu avant ma naissance. La cité avait certes connu des épidémies, mais rien à voir avec ce mal meurtrier qui l'a ravagée pendant près de douze ans. Je sais ce que vous pensez : je n'ai pas dû avoir une enfance heureuse si la maladie menaçait à chaque instant. Et bien détrompez vous ! À l'abri du danger, enfermée dans le palais, j'ai eu l'enfance la plus normale possible. Bien sûr, les cadavres s'empilaient dans la ville et je ne pouvais pas sortir dans les rues, mais j'étais bien trop jeune pour comprendre ce qu'il se passait.

Pendant douze longues années, Oedipe et mon père ont tout essayé pour endiguer ce mal. Confiner les habitants, exiler les malades, construire des murs... Rien n'a eu d'effet. La maladie a continué à se propager, plus virulente et dévastatrice avec les années. Allez savoir pourquoi, certains ne sont jamais tombés malades. Malheureusement, ces derniers sont minoritaires.

Mon père a toujours soupçonné une punition des dieux. Oedipe, qui n'était pas un fervent croyant, soyons honnêtes, n'y croyais pas du tout. « Pourquoi les dieux s'acharneraient-ils sur notre cité ? », répétait-il sans cesse. C'est seulement quand la maladie a atteint le palais que mon père se décida à aller consulter la Pythie à Delphes en dépit des doutes de notre roi.

Mais qui est tombé malade ? Qui a succombé, au sein même du palais épargné jusqu'alors, à cette maladie qui faisait des ravages depuis plus de dix ans ?

Je vais tout vous expliquer. Ma mère avait (enfin) donné naissance à une seconde petite fille, Pyrrha. J'allais avoir douze ans. À peine le nourrisson eut-il vu le jour qu'il tomba gravement malade. Créon fit venir tous les médecins en vain. Personne ne comprenait comment Pyrrha avait pu contracter la maladie sans même avoir été exposée à l'air de la cité. En dépit de toutes les dispositions mises en place, le bébé était trop fragile. Impossible pour les médecins de sauver ma sœur âgée de seulement quelques jours. Ma mère en fut inconsolable. Mon père, déterminé à avoir des explications, décida donc de partir pour Delphes obtenir des réponses. S'il s'agissait d'une punition des dieux, il devait le savoir et faire tout ce qu'ils exigeraient pour mettre fin au fléau.

Il se peut que je me sois légèrement immiscée dans son périple. Vous vous doutez bien que mon père ne voulait pas que je quitte le palais par peur que moi aussi je tombe malade. Cela ne m'a pas empêchée de me cacher dans l'un des paniers de provisions qu'il emportait avec lui. Quand il s'en rendit compte, nous étions déjà trop loin du palais. J'ai donc pu l'accompagner en dépit de son refus initial. J'avais déjà un caractère bien trempé, même à douze ans.

MégOù les histoires vivent. Découvrez maintenant