Héra avait laissé un vide dans la pièce. Il ne restait qu'Alcide, moi, et les trois corps sans vie de nos enfants. Et surtout un silence pesant. Nous aurions pu passer cent ans sans un bruit tant le temps semblait s'être allongé.
Chalkoarai. C'est le nom que leur donna la postérité. Ceux sur qui tomba une malédiction de bronze. Leurs noms ont été oubliés, confondus. Seule cette expression est restée.
Des gardes alertés par les cris et le tumulte qui venaient de se dérouler finirent par entrer dans la chambre et découvrir ce spectacle macabre. Moi, la poitrine brulée par le tisonnier. Les garçons, baignant dans leur sang. Et enfin, Alcide, agenouillé au milieu de la pièce, entouré par ces horreurs, le visage marbré de larmes.
Les hommes qui venaient de faire leur entrée au milieu de cette scène innommable prirent le temps d'assimiler la situation. Puis tout se passa très vite. On me porta jusqu'à ma chambre pour qu'une guérisseuse vienne panser mes plaies. Alcide fut emmené pour être interrogé : la nouvelle de la mort de Lycos s'était répandue comme une trainée de poudre. Les membres du conseil voulaient entendre ce qu'il s'était passé. Pendant des heures Alcide fut interrogés. Oui, il avait tué Lycos. Oui, c'était pour défendre sa femme. Oui, le soir même, il avait attaqué sa femme et ses enfants. Non, il ne comprenait pas pourquoi. Cet interrogatoire avait pour but de déterminer dans quelle mesure Alcide était dangereux. Alors que je n'étais pas encore rétablie, je due intervenir au sein du conseil pour faire cesser ce simulacre de procès. Malgré que Lycos m'ait éloigné des affaires politiques, ma parole avait encore beaucoup de poids. Dernière héritière en vie de Créon, j'étais le seul membre connu de la famille royale encore en vie.
Deux jours plus tard, nous « célébrions » les funérailles des enfants. J'ai toujours trouvé que le terme célébré n'était pas approprié dans ce type de situation. Le mot est bien trop festif pour un tel évènement. Il n'y a rien à fêter. Mon cœur était meurtri. J'étais lasse de toutes ces pertes.
Alcide n'a même pas assisté à la crémation. À vrai dire, une fois l'interrogatoire passé il s'était éclipsé sans un mot ou un regard pour moi. Il disparut pendant plusieurs semaines. Quand il revint, quelque chose en lui avait changé.
— Où étais-tu passé ?, m'exclamais-je sitôt qu'il pénétra dans nos appartements.
Alcide ne répondit pas tout de suite. Il se contenta d'entrer et de poser ses affaires sur une chaise avant de s'assoir au bord du lit. Les coudes sur les genoux et la tête entre les mains, il poussa un long soupire.
— Je pensais que tu ne voudrais plus me revoir, finit-il par répondre en se redressant.
J'en restais sans voix. Il avait disparu pendant des jours alors que moi j'avais besoin de lui à mes côtés. Nous aurions dû traverser cette épreuve ensemble.
— Et qu'est-ce qui t'as fait penser ça, Al ?, demandais-je en prenant sur moi pour ne pas laisser mes émotions exploser.
— C'est Héraclès maintenant, répondit-il abruptement me faisant sursauter. Et pour répondre à ta question : tes yeux quand les gardes t'ont fait sortir de la chambre.
Héraclès. Ce nom me figea sur place. Il résonnait encore dans ma tête. Quand je fermais les yeux je pouvais l'entendre. Le nom que prononçait Lyssa pendant la tuerie. Je n'aimais pas ce nom à l'époque et ne l'ai jamais aimé. Aujourd'hui encore il me coûte de l'employer. C'est le nom d'un monstre qui a détruit ma famille. Un étranger qui a mis fin à toutes mes perspectives d'espoir.
— Al, murmurais-je en posant une main sur son épaule.
Alcide intercepta mon mouvement et se retourna brusquement vers moi. Ses yeux étaient gris comme l'orage. S'ils pouvaient lancer des éclairs, ils m'auraient foudroyés sur place.

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Még
General FictionTémoin oublié des événements de la mythologie, Mégara était pourtant là. Elle a tout vu des tragédies qui ont chamboulé la ville de Thèbes. De son enfance bouleversée par la maladie en passant par les révélations concernant son oncle, son adolescenc...