Chapitre 26 : Maman

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Sidney dormait. Profondément. Et aux vues de ce que son père lui avait fait, il valait mieux.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était allongée quand des lumières se mirent à danser devant ses yeux. Elles se déplaçaient de manière totalement aléatoires d'abord. Puis, elles se rassemblèrent au centre laissant apparaître un visage que Sidney n'avait pas vu depuis des années. Sa mère était là devant elle. C'était une grande femme mince aux cheveux blonds et ondulés. Elle avait une vingtaine d'années quand elle est tombée enceinte de Sid. Elle n'était pas de celles qui rêvaient d'avoir des enfants. Adolescente, elle se voyait vivre seule dans une grande ville. Elle aurait pu être qui elle voulait. Journaliste, modiste ou danseuse. Peu importe. C'était le plan en s'installant à New York à la fin des années 60. Mais elle fit la rencontre d'un homme. Il était plus âgé qu'elle et il savait exactement quels mots employer. Elle était très rapidement tombée sous son charme. C'était la première fois que quelqu'un s'intéressait à elle et à ce qu'elle voulait. A ses côtés, elle se sentait belle, elle se sentait écoutée, elle se sentait aimée et désirée. Sans s'en apercevoir, elle avait quitté la grande ville et sa vie rêvée et s'était installée en banlieue.

Mais elle n'eut pas le temps de s'y morfondre car très vite elle tomba enceinte et se focalisa sur ce nouveau projet. La solitude qu'elle ressentait dans cette banlieue résidentielle trop silencieuse serait comblée par ce bébé. Elle espérait également qu'elle apaiserait la nouvelle famille qu'elle formait avec Daniel. Depuis qu'ils avaient quitté New York, elle avait découvert un nouveau visage de son compagnon. Un visage qui la terrorisait. Elle avait abandonné sa vie rêvée pour lui et il l'en avait remercié avec de l'alcool en trop grandes quantités, avec des mots blessants et des gestes qui laissaient des marques sur son corps frêle. A New York, elle était sa "beauté", son "amour", son "trésor". Mais depuis qu'ils avaient emménagé dans leur maison, il lui balançait des phrases blessantes quotidiennement.

Tu ne sers à rien. Personne n'a besoin de toi. Tu n'es pas à la hauteur et tu ne le seras jamais. Salope. Tu peux crever, tu ne manqueras à personne.

Mais quand il prononçait ces phrases ou quand il la frappait, il était une autre personne. Son regard était différent. Et tous les jours, elle se disait que l'arrivée du bébé allait apaiser les choses.

Sidney voyait sa mère, là devant ses yeux. Elle pensait beaucoup à elle ces dernières semaines. Elle se demandait comment serait sa vie si elle n'était pas partie. Quels conseils lui aurait-elle donnés sur la vie de jeune adulte ? Aurait-elle apprécié Eddie ?

Elle lui en voulait d'être partie. Mais elle lui en voulait encore plus de l'avoir laissée. Elle se demandait tous les jours pourquoi elle ne l'avait pas emmenée avec elle.

Soudain, elle se retrouva dans la maison de son enfance. C'était le jour de ses huit ans. Ils venaient de finir de manger le gâteau que sa maman avait préparé pour l'occasion et son père venait de partir. Il allait au bar tous les soirs depuis qu'il avait perdu son travail. Sidney avait entendu ses parents se disputer à ce sujet plusieurs fois. Sa mère parlait de "confiance brisée", de "vols", de "prison", ... Sidney avait très peur de la prison. Souvent les disputes se terminaient par de gros "boum" puis la porte claquait et son père était parti. Le jour de ses huit ans, son père était parti depuis quelques minutes à peine que sa maman se baissa vers elle :

— Sisi chérie, on va jouer au jeu que maman t'a appris. Tu te souviens ?

La Sidney enfant se mit à rire et courra jusque dans sa chambre. Mais la Sidney adolescente remarqua un détail : sa mère portait une écharpe dans la maison et sa voix était plus rauque qu'à l'accoutumée. Enfant, cela ne l'avait pas interpellé, mais maintenant, elle savait exactement ce que cela signifiait. Quand Dan étranglait sa fille, sa voix était aussi rauque pendant quelques heures et, pendant plusieurs jours, elle portait elle aussi une écharpe pour camoufler les traces violacées. Comment Sidney n'avait-elle pas remarqué les traces de coups ? Les "boums" que Monsieur Griffes recouvrait par des ronronnements. Aujourd'hui ils lui étaient familiers et elle réalisa enfin ce que sa maman avait subi.

Sidney enfant était dans sa chambre et riait en mettant ses objets les plus précieux dans son grand sac vert pomme.

— Vite ma Sisi. Mets tout dans ton sac, dit sa maman en revenant dans la chambre de sa fille, un gros sac de voyage au bras.

— Maman tu as gagné le jeu, tu as fait ton sac plus vite.

Sidney ferma son sac et donna la main à sa maman. Elles descendirent les marches rapidement, se précipitant vers la porte d'entrée. Mais, avant que sa mère ne puisse l'ouvrir, Sidney se mit à crier :

— Maman, j'ai oublié monsieur Griffes.

— Ce n'est rien ma chérie, on viendra le rechercher.

— Non maman, je dois prendre monsieur Griffes.

Sidney lâcha la main de sa mère et se précipita dans sa chambre à l'étage. Elle chercha sans relâche dans toute sa chambre mais le chat avait disparu. Elle sortit de sa chambre en pleurant :

— Maman, il n'est plus là...

Mais sa maman n'était plus là elle non plus. La porte était ouverte et son père était déjà de retour. Il ferma la porte doucement et se retourna vers sa fille :

— Va te coucher Sidney, maman est partie.

Sidney se souvenait avoir eu très peur et être allée se coucher immédiatement, sans rechigner. Mais aujourd'hui, alors qu'elle voyait la scène se jouer devant ses yeux d'adulte, elle réalisa que c'était la première fois qu'elle rencontrait le monstre.

— Ce n'est pas possible, se dit-elle. Je crois que maman voulait m'emmener mais que le monstre l'a attrapée.

Au même moment dans le camping-car, Sidney se réveilla en sursaut. 

The Freak and I, ou fan-fiction sur Eddie MunsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant