Faisons danser nos voix

Chapitre 1 : Axel et Julien

Prime 1

Axel

La foule est en délire.

Je l'entends depuis les coulisses, cette masse de monde qui crie pour que j'arrive sur scène... que nous arrivions sur scène, pardon. Les autres candidats sont avec moi, certains ont l'air terrifiés et la prod tente de les rassurer. D'autre sont calmes, seule une goutte de sueur sur le côté de leur front trahie une once de stress.

C'est le cas de celui-là en tout cas. Je ne connais pas son nom, il me semble l'avoir entendu, mais, dans l'urgence et devant toutes les nouvelles informations... ça m'a échappé. Il est droit, calme et il vocalise dans son coin, révisant une dernière fois, un vrai pro. La compétition sera difficile, je m'y suis préparé, mais la cohabitation au château le sera encore plus.

Mais... il a quelque chose, je ne saurai le définir, je n'arrive pas à le quitter des yeux. Je devrais être concentré sur ma prestation, le public ou mon stress. Je suis le premier à passer, je dois me concentrer pour tout donner. Mais non, tout ce dont je rêve, c'est de l'entendre chanter, là, maintenant, dans les coulisses. De sentir le souffle rauque de sa voix me traverser.

Qu'est-ce que je raconte ? C'est le grand délire. Je ne l'ai jamais entendu, je ne connais ni sa voix ni rien de lui. Ça doit être la pression et... l'attente qui me font perdre les pédale.

Mais j'ai un... un pressentiment ? Oui, appelons ça comme ça. J'ai un pressentiment le concernant.

Julien

Inspire... bloque...expire. Recommence.

Souviens-toi de tes cours de chant et tout ira bien.

Inspire... bloque... Expire. Recommence.

Bien. Fais abstraction du reste. Oublie les autres candidats. Oublie les finalistes de l'an dernier qui chante sur la scène.

Inspire... Bloque... Ex.. Mais qu'est-ce qu'il a celui-là à me fixer ?

Je n'ai pas retenu son nom, ça n'avait pas l'air important à ce moment. J'aurai peut-être dû écouter... Non ! Je ne suis pas là pour ça. J'aurai suffisamment de temps pour apprendre leurs noms quand ils seront sur le banc des nominés et pas moi.

Concentre-toi Julien. Inspire... bloque... ex.. Mais, il m'énerve, c'est pas possible. Quelqu'un peut retiré ce grand idiot de mon espace ? Je passe en dernier, il faut que ma voix reste stable et fraîche tout au long de la soirée. Je n'ai PAS BESOIN, de distraction.

C'est bon, après l'avoir fixé assez longtemps, il tourne la tête. Non sans avoir rougi, je crois bien. Peut-être est-ce mon imagination, ou juste la température. Il fait chaud dans les coulisses et le stress n'aide pas. Je ferme les yeux, ça va m'aider.

Inspire... bloque...

« Bienvenue à la promotion 2023 de la Star Academy !! »

Je sursaute. La voix de Nikos hurle à travers les enceintes. Après m'être ressaisis, je remarque que je ne suis pas le seul à me mettre sur le pied de guerre. C'est partit !

Axel

Je sursaute à l'annonce de Mr. Aliagas.

C'est à nous. Il faut y aller et être présentable. J'avance.

À l'idée des millions de téléspectateur mon cerveau est vide. Ce qui m'inquiète le plus, c'est la salle, le jury, et tout le public. Je sais qu'il y a des personnes de confiance dans celui-ci, ma famille.

Ça me rassure, un peu.

Et tout d'un coup un mur de son, les applaudissements de partout, des cris, des vivats et Nikos qui parle au micro. Mais il faut maintenir la face, sourire et salué au milieu des autres, ne pas regarder le portrait vidéo, surtout ne pas regarder le portrait.

C'est bon, il est terminé, c'est à moi. Une dernière respiration et je me lance.

« J'ai la tête qui éclate. J'voudrais seulement dormir. » Ma voix résonne dans un silence total, je ne pensais pas cela possible. Tant de gens et si peu de bruit, tous sont concentrés sur moi et la chanson. Je continue à chanter doucement, préparant le terrain pour la suite.

Les danseurs sont mis en lumière, je ne dois pas les regarder, même si leurs mouvements sont si synchronisés que s'en est hypnotique. Arrivé au couplet d'après je me lance, autant tout tenté et donner ma voix.

« J'ai plus envie d'me battre ! J'ai plus envie de courir. »

La salle explose en vivats, je lutte pour rester concentré. Mes jointures blanchissent autour du micro. On continue, il reste encore beaucoup de chemin avant la fin de la chanson. Mais, c'est agréable, je préfère ce bruit violent et étrange de personnes que je ne connais même pas, au silence précédent. Je me laisse porter jusqu'à la fin de la chanson. Celle-ci glisse de mes lèvres comme en répétition, elle me parle et j'espère aussi dialoguer avec le texte, m'en emparer ne serait-ce qu'un peu.

« Et me laisser mourir... » Je termine, tremblant et éreinté, sous une nouvelle vague d'applaudissements. C'est... grisant, je risque de me laisser séduire par cette expérience. Nikos s'approche, répétant que je n'ai jamais chanté sur scène, que c'est incroyable d'ouvrir la soirée et la saison. Je ne l'entend pas vraiment, je suis fasciné par tout les regards sur moi, sur ce que ma voix a fait, ce que j'ai fait en quelques minutes.

« Qu'est-ce que vous ressentez, Axel ? Qu'est-ce qui se passe dans votre tête ? » Me demande Nikos, en nous amenant sur le bord de la scène. Le fameux bout de l'étoile ou les candidats affrontent le regard et l'expertise des professeurs sur les primes. Je lui réponds du tac au tac.

« C'est un p'tit peu dingue ce qu'il se passe. Ça fait très bizarre, c'est beaucoup d'émotions, une très grande chanson qui m'émeut beaucoup. » Il faudrait que je pense à respire. Souviens toi Axel, parler, c'est comme chanter, mais en plus calme. Mais j'enchaîne tout de suite bien que le souffle me manque.

« Ça a été compliqué de ne pas pleurer. Pour l'instant c'est le cas mais je tiendrai peut-être pas toute la soirée. » Oui j'ai vraiment dit ça, je m'en voudrai peut-être plus tard, mais c'est ce que je ressens là, à l'instant T.

Nikos relance et je n'ai pas le temps de percuter tout ce qui se passe, ses compliments, ceux de Michael Goldman le directeur. C'est beaucoup d'un seul coup. Je repars sur le banc ou je retrouve mes futurs colocataires dans un flou. Un flou de joie et de stress relâché. Un flou de bruits et d'émotions mêlées.

Oui. C'est la bonne description pour la suite de la soirée, je suis ce qu'il se passe, mais tout est si intense qu'il m'est difficile de le raconter. J'applaudis, je ris et beaucoup d'émotions se condensent, comme une sorte de brouillard de sensations. Difficile de le démêler, mais surtout de voir au travers, comme un rideau de larmes qui me voilerai la vue. C'est une simple phrase qui me fait sortir de cette transe. Une phrase si importante et si quelconque à la fois. De celles qu'on a entendues mille fois et qui, selon la personne, fait mille effets.

« Je te promets le sel au baiser de ma bouche. » Et pour la première fois, en écoutant cette chanson, mon monde s'effondre.