« C'est tellement beau cet endroit ».
Je cesse la contemplation de l'arbre de noël devant moi pour regarder l'homme à ma droite qui vient de me rejoindre.
Il regarde le même sapin qui avait attiré mon attention quelques minutes auparavant.
Je l'observe en silence, captivée par les nuages qui se forment autour de sa bouche au gré de sa respiration.
La nuit vient de tomber, je peine à discerner les traits de son visage.
Soudain, peut-être intrigué par le fait que je ne lui ai pas répondu, il tourne son visage vers moi.
Prise en flagrant délit, je plonge mon visage dans mon écharpe et redonne toute mon attention à cet arbre gigantesque.
Je suis timide, pas habituée à me faire aborder par des inconnus.
Il semble amusé par mon comportement, je l'entends rire légèrement.
« Excusez mon impolitesse. Je m'appelle Tom ».
Je vois du coin de l'œil qu'il me tend sa main, je ne peux quand même pas l'ignorer.
J'inspire tout l'air qu'il m'est possible de faire entrer dans mes poumons et ressors de mon écharpe comme un Bernard-l'hermite.
Je prends sa main, elle est grande, froide.
La mienne parait minuscule, chaude, bien emmitouflée jusqu'ici dans les poches de mon blouson.
« Je m'appelle Julia ».
Je vois un magnifique sourire se dessiner sur ses lèvres et mon cœur accélère dans ma poitrine.
Impossible qu'un tel homme puisse s'intéresser à moi de quelque manière que ce soit.
Il doit forcément attendre quelque chose de moi.
Peut-être pense-t-il que je travaille ici ?
Je peux comprendre, c'est vrai quoi, je ne paie pas de mine, avec mon blouson oversize, ma grosse écharpe et mes bottes hourdées de boue.
Lui, il semble sortir tout droit d'une tour des finances de Wall Street, avec sa tenue impeccable, ses chaussures pointues et son écharpe tellement fine que je doute qu'elle le protège du froid.
Nous nous regardons droit dans les yeux sans rien dire et cela commence à me gêner.
Je m'éclaircis la gorge et ravale ma boule d'angoisse.
« Je ... Je ne travaille pas ici ».
J'arrive à lire de l'incompréhension sur son visage, ses sourcils froncés au-dessus de ses yeux.
Puis il regarde le sapin devant nous, et quelque chose s'éclaircit dans son regard.
Il rit.
« Non ! Ce n'est pas du tout pour ça que je suis venu vers vous ! En fait, c'est ce sapin qui a d'abord attiré mon attention ».
Je l'imite et regarde à nouveau le sapin.
« Ils ont raison de mettre quelques décorations dedans, ça donne un aperçu de ce qu'il pourrait donner une fois à la maison ». Dit-il calmement.
La maison.
Dans mon appartement miteux, les seuls sapins qui pourraient faire l'affaire sont ceux en promotion à l'entrée du parc à sapins, trop petit et difforme pour plaire à une quelconque famille.
Si je viens ici, c'est pour oublier ma misérable vie de serveuse.
Je m'imagine pouvoir acheter le plus beau sapin, le plus vert, le plus fournis ... Et je m'imagine me prendre la tête pour le faire entrer dans ma grande maison.
Je m'imagine le décorer avec les plus belles boules de Noël qui existent, puis le contempler pendant des heures, assise au coin du feu avec une tasse de chocolat à la main.
Je soupire.
« Vous avez raison. Il va rendre une famille heureuse, c'est sûr ».
Je sens son regard pesé sur moi.
« Pourquoi ? Vous ne comptez pas l'acheter ? » Me questionne-t-il.
Je ris jaune et ma réaction semble encore une fois le rendre perplexe.
« Oh ça non, je n'ai ni les moyens ni la place, vous m'avez bien regardé ? »
Je croise son regard et perd mon sourire.
Il me regarde avec une telle intensité que je soupçonne qu'il essaie de lire à travers moi.
« Oui, je vous ai bien regardée ».
Sa voix vient de perdre une octave.
Il soupire, l'air qu'il souffle se dissipe autour de lui.
« En vous voyant devant avec une telle admiration, je me suis dit que c'était cuit. Qu'il avait déjà trouvé un propriétaire. Je devrais être content, mais en fait ... Je voudrais vous l'offrir ».
Je ne sais pas quoi répondre.
Face à mon silence, il reprend la parole.
« Je dois vous paraître tellement étrange ... Je n'ai pas l'habitude d'aborder ... Une femme, de cette manière ».
Je le regarde, il semble gêné.
« C'est vrai. Je vous trouve bizarre ».
Il me regard avec des yeux ronds, mais comprend en voyant mon sourire que ce n'était que du second degré.
Une brise fraîche arrive dans mon dos, je frissonne.
Ledit Tom le remarque et regarde autour de lui.
« Vous voulez quelque chose à boire ? Un chocolat ? »
Mon cœur se serre dans ma poitrine, Dieu ce que j'aime les chocolats chauds.
Mon compte en banque lui, les apprécies beaucoup moins.
« Je suis désolée ... Mais je ne peux pas ».
Je baisse les yeux sur le pied du sapin.
Je déteste passer pour la pauvre fille fauchée, même si c'est ce que je suis.
Maudit travaille de serveuse qui paie à peine de quoi me maintenir en vie.
Je l'entends soupirer.
« Vous allez peut-être me trouver insistant, mais peu importe. J'insiste ».
Je remonte mon visage vers lui, il semble déterminé.
Mon ventre gargouille.
J'aperçois encore une fois au coin de ses lèvres un sourire qu'il peine à cacher.
« Bon, okay ! »
Je lève les mains en signe de capitulation.
Il semble satisfait.
En marchant vers la sortie, je me retourne une dernière fois sur le plus grand sapin du parc.
« Tom ? »
Il s'arrête, me regarde.
« En échange de ma capitulation, vous pouvez faire quelque chose pour moi ? »
Il semble vraiment très impatient d'entendre ma requête.
« Vous pouvez acheter ce sapin ? »
Il regarde en direction de celui-ci.
« Ok. A une seule condition ».
C'est à mon tour d'être attentive.
Je l'incite à continuer d'un coup d'œil et d'un sourire timide.
« Je veux que vous veniez le décorer avec moi ».
