Chapitre 14

94 24 32
                                    

Margot

    Le samedi arrive rapidement. Avec Louise, nous allons passer les deux prochains jours chez mes parents. Il était normalement prévu qu’ils partent en amoureux, sauf que Louise a eu la brillante idée de leur parler de notre invitation au concert ce soir. Ils étaient tellement ravis de me voir retrouver une vie sociale que je n’ai même pas pu en placer une. Évidemment, ils ont insisté pour emmener ma fille avec eux… La négociation a été un échec total, seule face à eux trois. Enfin, je ne m’en fais pas trop, car je sais que Victoire sera ravie de passer un week-end en compagnie de ses grands-parents adorés.
Ma seule contrepartie est de garder le chat.
Monsieur Moustache, chat vagabond devenu légende urbaine dans la famille, n’apparaissant que pour finir sa popote journalière. Autant dire que ma tâche n’est pas très compliquée en soi.
Étant de repos aujourd’hui, j’en ai profité pour contacter Élise afin de lui proposer de passer boire un café après le repas. Elle attend très certainement que je lui raconte la soirée de jeudi. Pour la deuxième fois, depuis que nous nous sommes retrouvés, la confronter m’angoisse. J’ai le sentiment de devoir être très prudente dans nos échanges, surtout quand le sujet tourne autour de Paul, de près ou de loin.
Pourtant c’est mon amie et je l’apprécie beaucoup !
D’un côté, il semble que je l’aie retrouvée, d’un autre, je perçois un changement en elle. C’est difficile à expliquer, mais c’est ce qui me retient. Cette année de silence m’a véritablement affectée. Une part de moi lui en veut pour cet abandon. J’étais seule. Louise n’habitait plus à proximité, et Élise m’avait totalement abandonnée. Je garde rancune.
Je suis consciente que je ne pourrais pas partager mes pensées avec elle de la même manière que je le fais avec Louise. Je ne sais même pas ce que je vais lui révéler à propos de jeudi soir. Ça dépendra de l’ambiance, je suppose. On verra si elle parvient à me mettre à l’aise.

Durant le repas de midi, Louise n'a fait que de parler des tenues que nous porterons ce soir.  Je ne sais pas si elle se rend compte que nous allons juste à une petite soirée, et non pas à un bal de fin d’année. Aussi excitée qu’une puce de lit, elle l’attend avec impatience, puisque ce soir elle revoit enfin son beau blond.
Évidemment, je n’ai pas pu me soustraire à l’interrogatoire de ma chère et tendre meilleure amie.
Louise est persuadée que mon aventure avec Samuel ira plus loin que ce qu’il n’y paraît. J’ai beau lui répéter que nous étions tous les deux ivres ce soir-là, elle ne l’entend pas de cette oreille. Finalement elle n’a pas beaucoup insisté, et heureusement, car je n’ai pas envie de m’épancher davantage sur le sujet.

À peine avons-nous terminé de déjeuner que Louise m’entraîne dans la chambre, me tirant par le bras avec force, vidant nos sacs de vêtements sur le lit afin de trouver la tenue parfaite pour ce soir.
Après tout, ce n’est pas comme si nous avions encore cinq heures devant nous...
Je me disais bien que sa valise était suspecte, je constate que presque l’intégralité de mon armoire se retrouve dedans.
Je précise que sa valise est vraiment énorme.
J’aperçois des vêtements que je n’ai pas porté depuis très longtemps. Que je portais quand j’étais heureuse.
Ayant perdu quelques kilos ces derniers mois, je ne sais même pas s’ils me vont encore.
Prétextant une envie urgente d’aller aux toilettes, je parviens à m’extirper de justesse de la chambre avant que Louise ne me déshabille. Évidemment, elle se doute que c’est une ruse mais ne bronche pas. Après tout, je ne lui serais d’aucune utilité puisque je sais que je n’aurais pas le dernier mot.
Est-ce que j’ai peur ? Absolument.
Est-ce qu’elle serait capable de m’y envoyer en justaucorps ? Carrément !
À peine ai-je descendu la dernière marche que j’entends de légers coups à la porte. Ma pression artérielle augmente au fur et à mesure que je m’approche pour accueillir mon invité du jour.
Élise se tient sur le palier avec, dans sa main gauche, un sac en papier dont une odeur exquise de croissants chauds se dégage.
— Pour le café, dit-elle en brandissant son sachet.
— Salut Élise, viens, entre !
Je l’escorte jusqu’au salon, où nous nous installons à la grande table pour discuter.
Je prends de ses nouvelles tandis que je prépare du café pour accompagner les viennoiseries. Pendant ces quelques minutes de préparation, Élise me raconte sa semaine au travail. Ses péripéties m’amusent jusqu’à ce qu’arrive la question fatidique.
— Alors jeudi, comment c’était ? Louise avait l’air toute excitée !
— Louise est toujours excitée ! je ris.
Je ris jaune.
Rien ne m’oblige à parler de Samuel, si ?
Je n’ai qu’à lui dire que deux hommes sympathiques se sont joints à nous pour boire un coup et basta !
Oui, c’est ce que je vais faire. Moins elle en sait mieux c'est.
— On a-
— Tiens regarde, Maggie-Mag, si avec cette robe il ne tombe pas à tes pieds alors là, je ne peux plus rien pour…toi…

Ce dernier mot meurt dans sa gorge dès l’instant où elle lève – enfin – les yeux sur nous. Sur Élise précisément.
C’est fini. Je ne pourrais pas y échapper.
Le pire dans tout ça, c’est que son allusion déplacée pourrait laisser entendre que je cherche à plaire à quelqu’un.
Louise me lance un regard désolé. Godiche. C'est trop tard.
Je suis tétanisée.
Incapable de regarder Élise dans les yeux.
Cette dernière rompt le silence :
— Qui ça « il » ? Tu... tu as rencontré quelqu’un Margot ?
Ce ton plein de jugement... C’est ce que je craignais plus que tout. Hors de question que je la baratine avec un « ce n’est pas ce que tu crois », c’est tellement au-delà de ce qu’elle peut penser.
Je suis incapable de prononcer le moindre mot. En fait, j’ai envie de pleurer. Les remords me rattrapent. C’est douloureux. Là dans ma poitrine, j’étouffe.

Quelle connerie j’ai pu faire en allant dans ce fichu bar ce soir-là.

Le soir où je pleure la perte de mon fiancé, je tombe dans les bras d'un autre homme. Mais qui fait ça ? Une drôle de façon d’exprimer son manque. C'est pourtant contradictoire. Je ne suis pas allée dans ce bar dans le but de remplacer cette absence.
Évidemment qu’il y a de quoi me cataloguer.
— Et ça te poserait un problème si c’était le cas ? attaque Louise.
Non. Pas ça...
— Paul est mort, Élise, tu t’en rappelles ?
Pitié, Louise, arrête...
— Et paix à son âme, c’était un homme merveilleux. Mais alors quoi ? Elle doit finir seule et triste jusqu’à la fin de ses jours ?
Je t’en prie...
— Ça ne fait qu’un an qu’il est parti, rétorque la rousse, c’est plutôt rapide pour passer à autre chose.
— Ah ! pouffe Louise froidement. Mais tu te prends pour qui à juger sans savoir ? Tu te permets de ramener ta fraise alors que pendant un an c’était le silence radio ! T’étais où pendant tout ce temps, hein ? Quand ton amie pleu-
— Stop, je coupe en m’égosillant. Ça suffit.
Je ne veux plus les entendre se disputer à cause de moi, ni être spectatrice de ce que mes choix de vie peuvent provoquer.
— Je n’ai pas oublié Paul, Élise.
Je me tourne vers elle.
— Pas un seul instant, depuis ces 374 derniers jours, je n’ai cessé de penser à lui. Il était mon avenir.
Un souffle profond traverse mes poumons, mais le tumulte en moi m’empêche de discerner si c’est la peine ou la colère qui domine. Le désespoir s’immisce lentement, enveloppant chaque fibre de mon être. Mes mains, emprisonnées dans mes cheveux, tirent sur mon cuir chevelu comme pour extirper la douleur intérieure.
— Fait chier !

Je m’effondre, submergée par un tourbillon d’émotions dévastatrices. Chaque mot prononcé résonne comme une lame tranchante dans mon cœur déjà meurtri. Ça me brûle. Paul, mon amour, mon avenir, ne devrait pas être réduit à un simple souvenir, mais cette conversation le transforme en une douleur persistante qui refuse de me laisser en paix. Mes yeux s’emplissent d’eau, et chaque inspiration est comme un poids sur ma poitrine.
Je sens les larmes dévaler mes joues mais je ne les essuie pas. Chacune d’elles représentent une infime partie de ma peine. J'ai beau l’évacuer depuis des mois, elle est intacte. La réserve est bien trop grande pour être vidée un jour. Si je pouvais au moins en vider une bonne moitié, ça serait moins lourd à supporter. Pourtant ces derniers jours, à être bien entourée, je sentais qu’elle pouvait s’évaporer petit à petit. S’alléger.
J'ai besoin de jours blancs. Que les jours noirs diminuent, laissant place à plus de clarté.
Je veux que les nuages s’écartent du soleil. Que chaque rayon pénètre mon corps, mon cœur, et m’illumine.
Putain j’veux du soleil dans ma vie. C'est tout ce que je demande.

— L’absence de Paul, quoi que je fasse, je la ressentirais toute ma vie. À travers Victoire particulièrement.
J'affronte son regard émeraude. Stoïque.
— Je te demande pardon, je n’avais pas prévu de me confier à toi, parce que justement j’appréhendais ta réaction. Mais c’est stupide, après tout je ne devrais pas en avoir peur car tu es mon amie.
Elle reste de marbre.
Et c’est là que je sais. Je ne pourrais pas lui en dire plus.
Elle n’est pas prête à connaître toute la vérité.
Je ne lui en veux pas, elle tenait tellement à Paul.
Mais malgré tout, ça me blesse.

Malgré la tension palpable, je finis par lui proposer d’aller s’installer afin de boire ce café comme il en était convenu, lui promettant de relater cette soirée, – où il ne s’est rien passé de spectaculaire.
Louise s’installe à nos côtés non sans lancer un regard mauvais à Élise.
Je lui raconte donc que nous avons croisé deux hommes, très sympas, avec qui nous avons partagé un verre. Que, suite à nos échanges, ils nous ont proposé de passer ce soir pour le petit concert prévu. Bien sûr, je n’ai pas omis de mentionner leur identité, notamment celle du gérant du Green. Et Louise a souhaité préciser que Robin était chasse gardée, naturellement.
Pour justifier l’entrée fracassante de Louise tout à l’heure, celle-ci s’est défendue en déclarant qu’étant deux hommes et deux femmes, chacune devait y trouver son compte. Principe d’équité selon Louise.
Élise a fini par s’excuser. Je ne m’y attendais pas, je dirais même que ce n’était pas nécessaire. Elle a juste été surprise et a interprété les choses telles que Louise les a supposées par ses propos irréfléchis.
— D’ailleurs, continue-t-elle, moi aussi, j’avais prévu d’aller y faire un tour, voir ce que ça donne. On pourrait peut-être y aller ensemble du coup ?

Je m’apprête à répondre quand je sens une pression écrasante sur mon pied droit. Je ne sais pas par quel miracle j’y parviens mais je garde mon sang-froid, comme si de rien n’était, alors que je suis presque sûr de sentir quelque chose craquer sous ma pantoufle. Cette fille a une force surhumaine.
— Bonne idée ! répondis-je d’une voix plus aigüe qu’à la normal.
La brune à mes côtés soupire bruyamment, montrant sans aucune gêne son mécontentement.
Tiens, ça t’apprendra à me broyer le panard.

Nous passons finalement la journée ensemble. Afin de rattraper notre soirée filles de l’autre jour, deux films ont été choisis à l’unanimité. Le premier, romantique à souhait, nous a paru tellement niais que nous avons finalement rebondi sur un bon film d’horreur.
Tout le long, nous nous sommes gavées de bonbons et gâteaux, à tel point que nous avons décidé de sauter le repas du soir.
Ce moment partagé avec les filles était si agréable. Nous n'avons rien échangé de très personnel mais tant mieux. Je suis contente, aucun sujet fâcheux permettant de remettre sur la table les précédents conflits. J'admets quand même que le premier film que nous avons regardé m’a légèrement mise mal à l’aise. À tout moment je m’attendais à un regard en coin d’Élise, ou encore une question par rapport à Samuel, mais rien. Ouf.
Au final, je me rends compte que ce type m’obsède un peu. Beaucoup.
Me retrouver encore une fois face à lui m’incommode. On a quand même partagé un moment très intime.
Et si je lui plaisais ? Il m’a quand même fait comprendre qu’il souhaitait me revoir ce soir. Et s’il essayait de me draguer ? Si ça se trouve, il espère quelque chose de moi. Je ne devrais peut-être pas y aller et dire aux filles que je suis ballonnée ou une bêtise du genre.
Non. Impossible. Louise me connait par cœur. Elle me grillerait à la seconde où j’ouvrirais la bouche.
Je suis condamnée.
Ou alors je me jette du haut des escaliers. Ça ne doit pas être aussi douloureux qu’on le pense, si ?
Mais qu’est-ce que je raconte.
T'as 28 ans ma vieille, assume tes conneries !
OK, mais hors de question que je mette une tenue qui laisse entrevoir une ouverture me concernant.

En début de soirée nous nous sommes préparées ensemble. J’ai filé une de mes anciennes robes à Élise. Elle a choisi une robe noire plutôt courte, au décolleté vertigineux. Je l’ai portée qu’une fois ou deux. Très sexy, je l’avais acheté pour taper dans l’œil de Paul lors d’un de nos nombreux rencards. On peut dire qu’elle a fait forte impression ce soir-là.  Mais je ne suis pas sûre de la remettre un jour. Autant qu’elle serve à quelqu’un d’autre. D’ailleurs, Élise est parfaite dedans. Elle calque parfaitement ses formes.
Je lui laisse le temps de se maquiller pendant que je rejoins Louise au rez-de-chaussée.

Nous voilà sur le trottoir menant au Green Cell. Louise a averti Robin par message – oui, oui, ils se sont échangés leur numéros – que nous étions sur le point d’arriver. Celle-ci fait d’ailleurs semblant de me faire la tête parce que j’ai mis un jean. Ça va, je porte quand même mon plus beau chemisier, d’où le fait qu’elle fasse semblant de bouder. Un chemisier ocre assez décolleté, qui se resserre sous la poitrine, et dont les manches sont légèrement bouffantes. Je sais qu’elle est satisfaite de mon choix. Il fait partie des vêtements que je portais avant.
— Ah ! Je crois que ce sont eux ! lance Louise surexcitée.

*****

Dur dur pour Margot quand elle repense à Paul...
Et Élise, c'était son meilleur ami, pas évident non plus.
Bon Louise... Toujours tout feu tout flamme 😂

À très vite,

FleurAzur 🤍

LIÉS  [ TERMINÉE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant