Chapitre 1

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Margot

17 octobre 2018


      Depuis combien de temps est-ce que je fixe le plafond comme ça ?
Est-ce que j'ai dormi au moins ?
Qu'elle heure est-il ?
6 h 19.
Nuit chaotique. Si on peut appeler ça une nuit.
Un réveil en bas de l'échelle. Une journée sans.
J'ai froid, j'ai chaud. Est-ce que je couve un truc ?
Avoir le cœur brisé est-ce une maladie ?

J'ai envie de faire pipi. Flemme.
Est-ce qu'on peut mourir si on se retient de pisser ? Je pourrais retrouver Paul. J'en rêve.
Et Victoire ?
Mon bébé. Non.
Il faut que je me lève. Je lui ai promis. Je lui ai promis qu'à travers les épreuves je tiendrais toujours la flamme hors de l'eau. Je ne dois pas sombrer. Je n'ai pas le droit.
M'armant d'un peu de courage, je me mets debout.
Cette journée n'a aucun sens.
C'est le tout premier anniversaire de Victoire.
Je dois me concentrer sur elle. Uniquement sur elle.
Je ne vais jamais y arriver.
Machinalement je descends les escaliers. Tel un robot, je me dirige dans la cuisine et me fais couler un café. Noir, sans sucre. Aussi fade que mon humeur.
Les toilettes. Il faut vraiment que j'aille faire pipi.
Je retourne dans la cuisine, je goûte mon café. C'est dégueulasse.
Parfait.
Dans le salon je pose ma tasse chaude sur la table basse, et m'affale dans le canapé. 
Un an.
Ce qui signifie que 365 jours se sont écoulés.

C'est dingue. Je ne saurais dire si l'année m'a paru plutôt longue ou courte. La plupart du temps, j'ai la sensation que ça fait une éternité que Paul n'est plus là, tellement le manque est immense. Les jours sans lui sont rudement longs.
Et d'autres fois, il m'arrive encore de ressentir la chaleur de ses lèvres s'attardant sur ma tempe, ce matin-là, juste avant qu'il ne me quitte pour aller à son cabinet. Si j'avais su que c'était notre dernier instant ensemble...
Tu sombres Maggie, ressaisis-toi.

Je ne sais pas combien de temps dure un deuil. Paul est la première personne que j'ai perdue dans ma vie. J'ai la chance d'avoir encore mes parents, mes grands-parents, mes oncles et mes tantes. Alors comment remonte-t-on la pente ? Combien de temps cela va-t-il encore durer ?

Je dois me ressaisir, je le sais, mais il y a cette douleur au fond de mon cœur qui m'empêche d'avancer. Cette sensation de vide à chaque fois que je me réveille le matin, seule, dans mon lit. Quand je vais me coucher, seule, encore une fois. Puis le sourire de mon enfant me ramène sur terre, me rappelle pourquoi je vis encore, cette petite douceur aux cheveux noirs et au regard noisette. Les yeux de son papa. Je le vois à travers Victoire ; et je la trouve encore plus magnifique.

Il faut que je m'occupe.

Peut-être pourrais-je passer l'aspirateur ? Non, la petite dort encore.
Laver le sol ? Je l'ai fait hier soir pour être tranquille.
La vaisselle ? Encore faut-il manger autre chose que des plats tout préparés. Depuis combien de temps est-ce que je n'ai pas réellement pris le temps de cuisiner un bon plat ?
Pff, mais qu'est-ce que je raconte. Je suis seule. Même pour ma fille, je ne prends pas la peine de cuisiner. Un pot de bébé tout prêt acheté au supermarché et le tour est joué.
La fête chez mes parents. Bien sûr ! Il faut que je prépare nos affaires.
À cette heure-ci, j'ai largement le temps de préparer ce dont nous avons besoin.

Comme chaque jeudi, mon service du midi se termine à 14 h 30. J'ai obtenu une dérogation exceptionnelle pour ne pas travailler ce soir afin d'être disponible pour l'anniversaire de Vic. Je n'envisageais pas de travailler toute la journée, comme le reste de la semaine, pour un jour si spécial. Nous allons passer l'après-midi en famille, peut-être que cela me remontera le moral, ne serait-ce que quelques heures. J'ai un doute. Après tout, c'est un jour particulier. Deux événements complètement contradictoires ont eu lieu à cette même date.

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