Épilogue

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Margot

     Je tire lentement sur la fermeture de ma robe noire, seul bruit résonnant dans ma chambre beaucoup trop silencieuse. Mes doigts tremblent, effleurant le tissu rugueux qui serre ma peau. L'air est lourd, presque étouffant, alors que dehors il fait un froid de canard. Mais je manque d'air. Et cette odeur de bougie parfumée à la cannelle, mêlée à celle de la lessive me donnerai presque le tournis. Les palpitations de mon cœur sont si intenses que je le sens jusque dans ma gorge, chaque pulsation accentuant ce vide immense en moi. Mes yeux glissent sur le miroir, où mon reflet ne fait que renforcer le gouffre de tristesse qui m'écrase. Encore une fois, je me retrouve à porter ce deuil, à affronter une douleur que je n'aurais jamais cru revivre aussi tôt. Cette même robe noire. La gorge sèche, je me passe la main sur le visage, tentant d'étouffer ce cri intérieur qui menace de s'échapper.

Louise entre dans la chambre sans un bruit. Je vois son reflet derrière moi, elle aussi vêtue de noir, le visage fermé. Nos regards se croisent dans le miroir, et je sens mes yeux se remplir de larmes que je tente de retenir. Elle s'approche et m'enlace, m'entraînant contre elle avec cette force tranquille qu'elle seule possède. Je craque, mes larmes coulent sur son épaule, ma gorge se serre douloureusement. Sa chaleur me rappelle que je ne suis pas complètement seule, même si chaque parcelle de moi se disloque, tombe en morceaux, je ne suis plus seule. J'entends sa respiration calme contre mon oreille, apaisante. J'aimerais la remercier, mais les mots restent coincés.

— Je suis là, murmure-t-elle.

Je pense à l'accident, à ce moment où tout a basculé. La voiture, les pleures de Victoire, et puis ce silence après l'impact... Je ferme les yeux et revois tout. Je n'ai pas pu la protéger, j'étais trop loin, trop impuissante. Les images de Victoire s'imposent à moi. Sa petite main dans la mienne. Mon bébé, ma fille, la seule raison pour laquelle je continue de respirer. Sa ceinture de sécurité l'a sauvé, le choc lui avait fait perdre connaissance. Bon sang, j'ai eu tellement peur. J'ai cru mourir en voyant cette voiture retournée. Mes paupières se ferment, et je respire lentement, goûtant l'amertume de mes propres larmes. Dans cette noirceur, j'aperçois le regard douloureux de Morgan. Je me revois dans cette pièce exiguë et glaciale, où l'air puait la moisissure et la désolation. Ses yeux... des éclairs de haine que je sens encore brûler ma peau.

      Le froid métallique de la chaise traverse la faible épaisseur de mon jean, mais c'est à peine si je le remarque. Morgan est assis en face de moi, ses poings fermés sur la table. Son regard est, plein de rage. Il ne dit rien au début, et moi non plus. Pourquoi suis-je venue ici ? Je l'ignore moi-même. Peut-être avais-je besoin de comprendre quelque chose. De comprendre qui était vraiment Élise.

Son souffle est court, comme s'il retenait un torrent de mots.

— Elle est morte à cause de toi, murmure-t-il d'une voix tranchante.

Il est dévasté.

— Elle aurait pu être heureuse, mais toi... toi, tu lui as tout pris. Cet homme, sa vie, son avenir. Tout. C'est toi qui l'as tuée !

Son visage se crispe de colère. Ses yeux semblent sur le point de me transpercer, et je sens mes mains se serrer sous la table pour empêcher les larmes de monter.

— J'aurais dû aller jusqu'au bout cette nuit-là, sa voix se fait plus sourde, plus dangereuse. J'aurais dû te tuer dans cette ruelle, comme je l'avais prévu. Ça n'aurait été que justice pour ma sœur. Mais elle en a décidé autrement putain ! Pourquoi ?!

Je me redresse imperceptiblement, sous ses cris, les muscles tendus. Pas de faiblesse. Pas ici. Je ne lui offrirai pas ce plaisir.

Il ne m'écoutera pas.

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