Chapitre 9

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Les yeux plissés, le dos voûté, Camélia est scotchée à son écran d'ordinateur au point d'en loucher.

- Fais gaffe, tu vas rester coincée, lui dis-je en débarquant dans la rédaction du journal le sourire aux lèvres.

Elle sursaute et peste :

- Te voilà enfin, toi !

Pour une raison que j'ignore, et même si je le déteste, j'ai choisi de suivre l'ordre de Caleb. Je n'ai rien dit, ni à Camélia, ni à personne, à propos de l'incident qui s'est produit en début de semaine dans son appartement. 

Parce qu'au fond, même si je le voulais, je ne saurais pas mettre de mots dessus. Et peut-être parce que je ne veux pas qu'on me freine dans cette course pourtant perdue d'avance. Aussi dingue que cela puisse paraître, le danger ne m'effraie pas, il me stimule. Sûrement une conséquence post-traumatique de mon passé. 

Je sais ce que vous vous dites, je dois être folle. Et c'est vrai, car j'ai l'impression que cet épisode tragique a bouleversé quelque chose, qu'il nous a en quelque sorte... liés. Quand on y pense, je partage maintenant un étrange secret avec lui. 

Et c'est assez vivifiant pour une âme égarée comme la mienne.

- Alors, quelles sont les nouvelles ? demandé-je à Camélia en m'installant à mon bureau.

- Pff... Rien de bien glorieux comme d'habitude, me répond-elle en s'enfonçant dans son siège. Plus de deux mois qu'on est ici et on enchaîne les actualités de pacotilles...

- Oui, je sais... dis-je dépitée.

- C'est pas ça qui va nous permettre d'intégrer des grandes rédactions plus tard, poursuit-elle les mains croisées sur la tête.

- Il faudrait qu'on trouve quelque chose, un scoop qui fasse du bruit.

- Je suis bien d'accord, il faut que ces heures passées au journal puissent nous servir.

En entendant ces mots, je culpabilise un peu de ne pas m'être investie à 100 % dans le journal ces derniers temps. Mais je dois reconnaître que j'ai du mal à passer à autre chose. 

Je reste bloquée sur Caleb et cet incident : je revois sa main sur ma bouche, son corps contre le mien, les voix terrifiantes de ces hommes... Et toutes ces questions sans réponses. Pour la curieuse que je suis, c'est une vraie torture. 

Il y a d'ailleurs quelque chose qui me trotte dans la tête chaque fois que j'y repense : ce tableau. Son image est gravée dans mon esprit.

Je démarre l'ordinateur vieillissant qui orne mon bureau et fouille dans ma mémoire pour me souvenir du nom de son auteur.

- Artes ! me dis-je intérieurement, plutôt fière de moi.

Ce nom ne me dit rien, mais Google, lui, va pouvoir m'aider. 

Les yeux rivés sur mon ordinateur, je découvre avec stupeur qu'une grande quantité d'articles parlent de cet artiste, dont l'identité exacte demeure un mystère. Mais pas ceux auxquels je m'attendais : il s'avère qu'un vol d'ampleur, comprenant plusieurs de ses œuvres, a eu lieu au Centre Culturel International de Paris. 

Mes yeux suivent les lignes de texte avec attention et je comprends que des plaintes ont été déposées, mais qu'elles ont bien vite été classées sans suite, faute de preuves. Voilà plusieurs semaines que le dossier reste lettre morte, la presse étant partie vaquer à d'autres occupations, au grand dam des responsables du musée. 

En fouillant davantage, je réalise que, comme beaucoup d'autres lieux culturels, le Centre noue des partenariats avec différentes universités, dont la mienne. Bingo.

Monomanie - Tome I - Rouge passionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant