Ne surtout pas penser à Nina.
Cette idée avait motivé Ayden durant toute la journée. Autant dire qu'il avait beaucoup pensé à Nina.
Il s'était tout de même efforcé de s'occuper à la fois les mains et l'esprit en travaillant sur quelques clichés qu'il devait envoyer avant le lendemain et en prenant de l'avance sur son planning. Au moins, il était sûr d'avoir suffisamment d'argent pour payer son loyer sans puiser dans ses économies.
Vers seize heures, Alice lui avait envoyé un message. Iels n'avaient pas beaucoup échangé depuis l'exposition au cours de laquelle iels s'étaient rencontré·es et Ayden avait été surpris qu'elle lui propose un dîner le soir-même, mais il n'allait certainement pas s'en plaindre. Il n'avait pas oublié leur discussion quatre semaines plus tôt, durant laquelle elle lui avait parlé de possibles opportunités professionnelles. Hors de question de manquer ça.
Une heure avant le rendez-vous, Alice lui envoya l'adresse du restaurant dans lequel elle avait réservé une table. Ayden hésita longtemps sur sa tenue – devait-il y aller décontracté ou au contraire faire des efforts pour donner une bonne image à Alice ? – avant d'opter pour un juste milieu, qui lui permettrait d'être plus à l'aise tout en paraissant professionnel. Dans un pantalon en toile noir, un pull cintré, un manteau long et des baskets blanches, Ayden se sentait presque adulte. Presque seulement, parce qu'il avait encore l'impression d'être un enfant déguisé, même s'il avait vingt-et-un ans.
Il lui fallut quinze minutes à pied pour rejoindre le restaurant et il trouva Alice, dans une robe verte assortie à ses yeux, installée à une table tout au fond de la salle. Les lumières tamisées ne rendaient pas justice à sa beauté, diminuant l'éclat de ses cheveux longs et rendant son teint terne, mais la monture dorée de ses lunettes brillait plus que jamais, autant que sa bague de fiançailles ornée d'un diamant discret.
— J'avais réservé pour trois personnes parce que mon compagnon devait nous rejoindre, mais il a une urgence familiale, expliqua Alice en désignant la troisième chaise. Bref, de toute façon, ce n'est pas pour te le présenter que je t'ai invité, alors ce n'est pas très grave. Tu veux boire quelque chose ? J'ai demandé une carafe d'eau, je ne bois pas d'alcool, mais tu peux prendre quelque chose si tu veux.
Ayden sourit ; il avait oublié à quel point Alice pouvait se montrer bavarde.
— L'eau, ça me va très bien.
— Regarde aussi la carte. Comme ça, on commande rapidement et on pourra discuter de la raison pour laquelle je t'ai invité. Ce n'est pas très sympa de ma part de te faire un teasing de cette façon, mais je ne peux pas m'en empêcher.
Alice ne tenait pas en place et, même si Ayden avait hâte de découvrir le sujet de leur conversation pour la soirée, il faisait suffisamment confiance à la jeune femme pour savoir qu'elle ne se moquait pas de lui. Quel que soit le projet dont elle voulait lui parler, ça valait le coup.
Par miracle, Alice parvint à rester silencieuse pendant trois minutes, le temps qu'iels lisent le menu et choisisse leurs plats : risotto de gambas pour Alice, entrecôte et ses légumes de saison pour Ayden. Quand il avait regardé où se trouvait le restaurant sur Internet, ce dernier n'avait pas réalisé qu'il s'agissait d'un établissement plutôt chic, et non d'une brasserie comme il en avait l'habitude.
Ses parents n'avaient jamais été riches, loin de là. Tous·tes deux travaillaient à l'usine, sa mère comme secrétaire, son père comme réparateur pour les machines. Contrairement à ce que beaucoup de personnes dans l'entourage de Steven avaient supposé, ce n'était pas l'identité queer d'Ayden qui avait causé des dissensions avec ses parents, mais son rêve de devenir photographe. Même si son père avait eu du mal à accepter que son fils n'était pas le parfait petit hétéro qu'il avait toujours imaginé, il avait pris sur lui, sans jamais lui laisser penser qu'il l'aimait moins qu'avant son coming-out. Sa mère avait à peine haussé un sourcil comme si elle s'en doutait depuis longtemps. En revanche, iels s'étaient immédiatement opposé·es à son projet artistique, le qualifiant de futile, idéaliste, complètement détaché de la réalité. Et iels l'avaient forcé à poursuivre ses études après le bac. Ayden avait tenu quelques mois dans une licence de physique qui ne l'intéressait pas, tout en poursuivant secrètement la photographie dès qu'il en avait le temps. Puis, il avait rencontré Steven, en visite à Chambéry pour quelques jours. Et la décision s'était imposée à lui : il fallait qu'il parte à Strasbourg pour donner une chance à ses rêves. Ses parents ne le lui avaient jamais pardonné.
— Quand j'étais jeune, on n'avait pas les moyens de venir dans un endroit comme celui-ci, dit Ayden pour chasser ces souvenirs douloureux.
Même s'il était en colère contre ses parents, iels lui manquaient, mais la seule manière de reprendre contact serait de s'excuser, alors qu'il n'avait rien fait de mal. S'iels n'étaient pas prêt·es à reconnaître leurs torts, Ayden préférait encore vivre avec ce manque.
Un instant, Alice parut troublée par sa phrase.
— Pour moi, c'est... normal. Je viens d'une famille riche, précisa-t-elle avec une grimace. Genre, vraiment très riche. Je suis sûrement la plus pauvre de tous mes frères et sœurs parce qu'ils ont tous choisi un métier qui rapporte bien, alors que j'ai préféré faire de la photo. Cela dit, mes parents m'ont donné pas mal d'argent pour me permettre de lancer ma carrière et ils avaient un certain nombre de contacts qui m'ont été super utiles.
Elle fit une pause avant d'ajouter :
— Je suis contente que ça puisse servir à quelqu'un qui n'a pas eu les mêmes opportunités que moi. Parce que tu as vraiment du talent et ce serait dommage que le monde passe à côté de ça.
Ayden baissa les yeux, trop gêné pour répondre. Steven lui avait souvent répété que ses photos étaient belles, Nina – encore elle – l'avait également complimenté à plusieurs reprises ; mais ce n'était pas la même chose venant d'une femme qu'il avait rencontrée un mois plus tôt et qu'il connaissait à peine. Les autres pouvaient l'avoir dit pour lui faire plaisir ; ce n'était pas le cas d'Alice.
Lorsque le serveur fut reparti avec leur commande, Alice posa les coudes sur la table pour se rapprocher de lui. La flamme de la bougie posée entre elleux dansa dans les verres de ses lunettes. Elle s'efforçait de rester sérieuse pour donner à ce moment un peu de solennité, mais un sourire flottait au coin de ses lèvres. Le cœur d'Ayden battait à tout rompre et il essuya ses mains moites sur son pantalon.
— J'ai été contactée par un magazine avec lequel je travaille souvent. C'est une parution mensuelle régionale qui fait surtout des articles de fond sur la région. Ils m'ont proposé d'avoir quatre pages pour un « reportage photo », sauf que mon planning est complet pour les trois prochains mois et il leur faut quelque chose pour le numéro de janvier. Alors j'ai pensé à toi. Le sujet est assez libre, du moment que tu leur proposes une quinzaine de photos et un peu de texte. Ensuite, tu travailleras avec eux pour mettre en page l'article et tu pourras profiter de ton argent. Qu'est-ce que tu en penses ?
— Tu es sérieuse ? souffla Ayden.
Quatre pages dans un magazine, pour un débutant comme lui, c'était bien plus qu'il n'avait osé l'espérer. Et ça lui servirait de tremplin pour la suite de sa carrière, s'il se débrouillait bien.
— Plus que sérieuse. Je leur ai parlé de toi, ils aiment ton style et me font confiance, donc ça pourrait le faire si tu réussis à proposer quelque chose d'ici un mois, pour que ça rentre dans leur planning éditorial. Je dois en conclure que ça t'intéresse ? Si tu voyais la tête que tu fais...
— Bien sûr que ça m'intéresse ! C'est génial, merci beaucoup, Alice !
— Avec plaisir, dit celle-ci en se laissant aller contre le dossier de sa chaise, avec un sourire satisfait. N'hésite pas à m'envoyer tes idées si tu veux en discuter. Oh et j'ai failli oublier : il faut que ça parle de Strasbourg, aussi. Ils veulent faire toute une partie sur la ville d'un point de vue artistique en janvier, donc ça parlera de différentes formes d'art et ta partie sera celle sur la photo. Je sens que ça va être incroyable !
Ayden peinait encore à y croire. Alice ne se rendait pas compte de la chance qu'elle lui offrait ; pour elle, il ne s'agissait que d'un projet intéressant certes, mais pas si différent des autres, alors que c'était la meilleure chose qui soit arrivée à Ayden depuis qu'il avait décidé de se lancer à plein temps dans la photographie.
L'arrivée des plats lui laissa quelques secondes supplémentaires pour réaliser ce qui lui arrivait. Déjà, son cerveau tournait à plein régime pour trouver un sujet digne de figurer dans ce magazine. Il fallait que ce soit parfait, il ne pouvait pas laisser passer cette chance.
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Comme une comédie romantique
Любовные романыMalgré ses nombreux échecs amoureux, Nina rêve d'une histoire digne d'une comédie romantique. Alors, lorsqu'elle rencontre son nouveau voisin sexy, elle croit avoir enfin une chance de vivre comme dans un film. Sauf qu'elle apprend qu'Ayden a déména...