Comme une comédie romantique

Chapitre 2 : Nina

Nina vérifia une nouvelle fois l'adresse sur son téléphone. Elle n'aurait qu'à tourner au coin de la rue et elle y serait. Un nœud d'anxiété contractait son estomac parce qu'elle détestait l'idée de rencontrer une inconnue. Cependant, elles avaient déjà échangé plusieurs fois par SMS pour fixer les détails du rendez-vous et tout se passerait bien. En plus, elle était pile à l'heure, un exploit pour elle qui avait toujours du mal à respecter les horaires – soit elle était trop en avance, soit en retard.

Une fois devant l'immeuble à la façade jaune tachée d'humidité, aux fenêtres protégées par des barreaux, Nina hésita une nouvelle fois, mais sonna tout de même. Hors de question de passer à côté d'une opportunité comme celle-ci : la petite Luna serait parfaite pour Yuumi.

Les parents de Nina lui avaient offert Yuumi quand elle avait quinze ans – soit quatre ans plus tôt. Elle était alors toute jeune, issue d'une portée de la chatte des voisin·es, un bébé au pelage d'un blanc immaculé et aux grands yeux jaunes. Nina voulait un chat depuis longtemps et était tombée sous le charme de cette minuscule boule de poils, avant de déchanter parce qu'elle enchaînait les bêtises à la moindre occasion. Yuumi ne s'était calmée qu'en atteignant les deux ans. Évidemment, Nina l'avait emmenée avec elle à Strasbourg. Toutefois, alors que ses parents vivaient dans une grande maison en banlieue de Troyes, elle habitait un appartement dans une résidence proche du campus. Certes, il faisait trente mètres carrés, mais ça manquait de stimulation pour une chatte qui avait l'habitude de sortir quand elle le voulait.

Luna était la solution parfaite – du moins, elle l'espérait.

La porte s'ouvrit avec un bip sonore et Nina monta au deuxième étage, comme indiqué dans le SMS.

Une semaine plus tôt, elle avait contacté une association strasbourgeoise qui recueillait des chats et les plaçait en familles d'accueil dans l'attente d'une adoption. L'employée à qui elle avait parlé lui avait proposé de rencontrer Luna, une jeune chatte de neuf mois qui avait été trouvée sur un chantier et vivait depuis un mois dans une famille sans trouver preneur. La photo de la boule de poils aussi noire que Yuumi était blanche avait aussitôt convaincu Nina, d'autant plus que le caractère de Luna semblait bien convenir au tempérament joueur de sa chatte.

Une femme aux cheveux retenus en arrière par un foulard, âgée d'une trentaine d'années, lui ouvrit la porte de l'appartement. Elle avait l'air tout à fait normale et même plutôt sympathique, avec quelques rides au coin des yeux et une fossette qui se creusait sur sa joue lorsqu'elle souriait. Finalement, Nina n'avait eu aucune raison de s'inquiéter. La femme repoussa du pied un félin tigré qui tentait de s'échapper.

— Certains essaient toujours de fuguer, soupira-t-elle. Ça va, tu n'as pas eu trop de mal à trouver ?

— Non, c'est bon. Vous avez combien de chats ici ?

Nina avait aperçu au moins quatre paires d'oreilles et une queue qui dépassait de sous le fauteuil.

— J'en ai six ! Deux sont à moi, les autres restent ici pour une durée indéterminée. Je pense garder Câline parce qu'elle est vieille, mais les trois autres devraient trouver une famille assez facilement. Surtout Luna, je suis étonnée que personne n'ait voulu d'elle avant. Elle se cache toujours derrière le canapé quand elle veut être tranquille. Le reste du temps, elle grimpe sur tout ce qu'elle peut trouver.

La femme sourit à Nina, qui n'avait pas eu le temps de placer un mot, et alla chercher Luna, réfugiée derrière le canapé, qui s'accrocha au pull, terrifiée par l'intrusion d'une inconnue dans son espace. Elle se laissa toutefois approcher sans tenter de s'enfuir et renifla prudemment les doigts de Nina quand celle-ci avança la main vers elle.

— Elle est adorable.

— Elle est timide au début, mais elle devient rapidement très câline, ne t'en fais pas. Elle fait encore plein de bêtises, par contre, parce qu'elle est jeune. Ça devrait se calmer dans les prochains mois. Tu as déjà un chat, c'est ça ?

Nina acquiesça.

— Une chatte de quatre ans qui s'appelle Yuumi.

— Tant mieux, parce que Luna aime beaucoup avoir de la compagnie, sinon elle s'ennuie rapidement.

La femme poursuivit son monologue, ponctué par les hochements de tête de Nina, qui n'écoutait qu'à moitié. Elle préférait observer le chaton, qui s'était installé en haut d'un arbre à chat et observait une grosse bête grise traverser le salon d'un pas lent. Sa manière de se tenir, oreilles pointées vers l'avant, montrait son désir de se jeter sur son aîné pour jouer avec lui, mais la présence de Nina la retenait.

— Si tu veux l'adopter, il faudra revenir la semaine prochaine avec un chèque et signer les papiers.

— Super. J'imagine qu'elle est déjà stérilisée ?

— Et vaccinée. L'argent sert seulement à rembourser les frais vétérinaires de l'association, mais tu peux faire une donation supplémentaire, si tu le souhaites. Enfin, j'imagine que tu es étudiante, alors ça doit être un peu compliqué pour toi.

— J'en parlerai à mes parents, dit Nina. Du coup, je peux venir samedi prochain à la même heure ?

— Parfait ! Je te donnerai ses jouets pour qu'elle se sente à l'aise chez toi, donc c'est mieux si tu peux venir en voiture.

Nina ne connaissait personne qui possède une voiture alors que les transports en commun à Strasbourg permettaient de tout faire à pied, mais elle s'abstint d'en faire la réflexion à la femme qui s'était lancée dans un nouveau monologue. Tout ce qui lui importait était qu'elle allait adopter une petite chatte adorable qui mènerait la vie dure à Yuumi – et lui ferait des câlins.