Chapitre 19 : Marius

26 9 0
                                    

À la fin des cours, Marius avait suivi sa voisine d'amphi dans un bar pour qu'iels puissent faire plus ample connaissance. À ses yeux, ça signifiait qu'iels pourraient devenir ami·es et surtout coucher ensemble. Après quatre bières, il commençait à penser que ce n'était pas la même chose pour elle.

Pourtant, iels s'entendaient parfaitement, partageaient le même humour et échangeaient sur tous les sujets sans jamais que la conversation ne connaisse de pause. Qui plus est, Valentine était vraiment magnifique, avec ses longs cheveux bruns bouclés, ses yeux bleus et son teint pâle parsemé de taches de rousseur discrètes. Marius croyait vraiment être tombé sur la perle rare, mais les regards intenses que la jeune femme lui lançait depuis quelques minutes le faisaient douter.

Il savait faire la différence entre le désir et l'affection. Et il aurait de loin préféré que ce soit la première option, mais Valentine ne semblait pas sur la même longueur d'onde que lui.

— Et c'est comme ça que je me suis retrouvée à étudier à Strasbourg. Changer d'université, ça n'a pas été évident, l'administration ne facilite vraiment pas les choses, mais c'était pour le mieux. Tes parents vivent ici, c'est ça ?

— Oui, depuis toujours. J'adore cette ville, j'ai pas envie d'habiter ailleurs.

— Je peux comprendre, il y a pire comme environnement.

Valentine se pencha par-dessus la table, le menton appuyé sur les mains. L'ivresse floutait légèrement son regard, mais elle restait maîtresse de ses gestes et de ses paroles, ce qui était remarquable compte tenu qu'elle avait bu quatre bières en moins de deux heures. Marius lui-même commençait à se sentir saoul, mais jamais il ne l'avouerait à voix haute parce qu'il tenait à son image de mec imperturbable.

— Et puis, les garçons ici sont plutôt pas mal, ajouta-t-elle avec un sourire en coin.

— Je vois que t'es directe, ça me plaît.

— À quoi ça sert de tourner autour du pot alors qu'on sait tous les deux très bien pourquoi on est là ? J'ai envie qu'il se passe quelque chose entre nous deux.

Valentine enroula une mèche de cheveux autour de son doigt et Marius résista à l'envie de lui proposer d'aller chez elle immédiatement. Il n'était toujours pas certain qu'iels avaient les mêmes attentes concernant leur relation, et il n'était pas du genre à profiter d'une zone de flou pour obtenir du sexe sans se sentir comme un connard.

— De quel genre de quelque chose tu parles ? demanda Marius en se penchant à son tour.

— On apprend à se connaître, on s'embrasse, je fais semblant de ne pas avoir envie de coucher avec toi au début, on officialise notre relation, puis on couche ensemble. Ça te paraît bien ?

D'autres auraient été tenté d'accepter l'offre de Valentine, mais Marius était allergique à la simple idée de se mettre en couple. Ce n'était pas fait pour lui, il le savait, et personne ne le ferait changer d'avis. Il grimaça et se renversa en arrière contre le dossier de sa chaise.

— J'ai pas envie de sortir avec quelqu'un. Je préfère te le dire maintenant parce que je veux pas que tu te fasses de fausses idées.

— T'es sérieux ? s'exclama Valentine, l'air outrée. Ça fait deux heures qu'on discute et tout ce que tu voulais, c'est coucher avec moi ? Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé que ce serait mieux avec toi qu'avec les autres mecs en chien, vous êtes vraiment tous les mêmes.

Marius avait l'habitude de ces réactions agressives et il les comprenait, d'une certaine façon : beaucoup de garçons mentaient pour obtenir ce qu'ils voulaient sans avoir à s'engager. Marius choisissait la franchise, toutefois. Au moins, il s'évitait des déceptions futures, quand il devait expliquer à son plan cul qu'il ne tomberait pas amoureux d'elle et que, même si c'était le cas, il ne se mettrait jamais en couple avec elle. Ces discussions ne faisaient plaisir à personne.

— Je suis désolé, je pensais que tu voulais la même chose, dit-il, incapable de rester silencieux face au regard furieux de Valentine. Il vaut mieux que je te laisse.

— C'est ça, ouais.

Marius détourna les yeux et vida sa bière d'une traite. Il laissa deux billets sur la table pour payer ses consommations avant de s'éloigner, sans un regard pour Valentine parce que la colère qu'il lisait sur son visage le blessait. Il comprenait qu'elle réagisse ainsi, mais ça ne signifiait pas que lui-même le vivait bien. Par le passé, Marius avait blessé plusieurs filles parce qu'il n'avait pas exprimé clairement ses attentes. Depuis, il s'efforçait d'être aussi honnête que possible et de communiquer ses envies, même si ça l'exposait à des réactions comme celle de Valentine, en espérant tomber sur quelqu'un qui voudrait la même relation que lui.

Pour s'empêcher de ruminer dans son coin, Marius envoya un message à Nina et Violette.

« J'aurais dû me douter qu'essayer de coucher avec une fille de la classe, c'était une mauvaise idée. »

La réponse de Violette ne tarda pas.

« Elle est tombé amoureuse et elle est triste que tu l'ai rejetée ? Je t'avais dit que ça risquait d'arriver, mais t'étais trop occupé à lui faire les yeux doux pour m'écouter. Ta que ce que tu mérites, espèce d'hétéro. »

« (en vrai, je te fait un câlin si tu veux. Tu veux un câlin ?) »

« Ça va aller, merci pour ton soutien, » répondit Marius.

« Toujours la pour te descendre <3 »

Nina intervint à son tour.

« Comme ça, on est dans le même bateau. »

« Il s'est passé un truc avec Jean ? » demanda Violette.

« Il est chiant. »

Marius ricana.

« On te l'avait dit dès le début, mais tu refuses de nous écouter. La prochaine fois, on choisira ton copain à ta place. »

« T'es même pas capable de trouver un plan cul durable, alors mêle-toi de tes oignons. »

« Oh, ça dis les termes, » intervint Violette pour entretenir leurs chamailleries.

Marius mit ses écouteurs pour rentrer chez lui en traînant les pieds. Il poursuivit sa conversation avec ses amies parce que ça lui faisait du bien de plaisanter sur ce sujet, plutôt que de s'apitoyer sur son sort. Valentine faisait sûrement la même chose en ce moment-même, se plaignant qu'un énième mec l'avait rejetée alors qu'elle voulait une relation sérieuse.

« Franchement, je la comprends, » dit Nina.

« Je dis pas que t'es un connard ou que tu méritais de te faire engueuler comme ça, mais c'est tellement courant que les mecs se servent de nous qu'on n'a plus confiance, qu'on s'énerve parfois sans raison. J'aurais sûrement réagi pareil, à sa place. Mais c'est tout à ton honneur de lui dire les choses dès le départ plutôt que de la tromper ou de la quitter au bout de quelques jours (je vise personne). »

Parfois, Marius oubliait que Nina avait vécu beaucoup de mauvaises expériences dans ses relations. Il ne s'agissait pas seulement de désillusions et de ruptures compliquées, mais surtout d'actes qui avaient entaché sa confiance en elle et en l'autre. Elle en parlait rarement, souvent à demi-mot, parce qu'elle restait une insupportable optimiste persuadée que l'amour véritable l'attendait quelque part et qu'elle le trouverait en le désirant assez fort. Marius était loin d'adhérer à cette vision, mais il comprenait que Nina se sente mieux quand elle était en couple, tout comme lui avait besoin d'être célibataire afin d'être heureux. Et c'était sans doute pour ça qu'iels s'entendaient aussi bien.


Comme une comédie romantiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant