[Sterek] Un fil d'argent

Chapitre 20

Il était encore tôt. Stiles n'avait pas pris le temps de se remplir convenablement l'estomac mais il ne ressentait plus la faim : ses émotions dérangeaient son corps par leur ballet infernal. Il n'arrivait pas à savoir ce qu'il ressentait exactement. La présence de Derek a ses côtés lui faisait du bien, mais elle le rendait également nerveux. Tous deux semblaient marcher sur des oeufs, comme s'ils ne se connaissaient pas. N'était-ce pas un peu le cas, finalement ? Ils avaient été séparés si longtemps. Derek semblait être resté le même, mais Stiles avait beaucoup changé, en huit ans. Il avait vécu bien plus de choses que le loup et il ne savait pas si leurs personnalités n'étaient pas devenues incompatibles.
Dans le fond, Stiles commençait à croire qu'en fait, il avait déjà fait son deuil de leur histoire, sans même s'en rendre compte. Il s'était reposé tout ce temps sur la douleur de cette disparition inexplicable, et s'était interdit de vivre autrement qu'à travers elle. Mais maintenant que le loup était de retour, Stiles n'avait plus aucun repère pour guider son existence.

- Scott m'a appris, pour ton père. Je suis désolé.

Les deux hommes marchaient côte à côte depuis de longues minutes, maintenant. Le silence les avait accompagné à la sortie du restaurant mais sans se concerter, ils s'étaient mis à marcher plutôt que de rejoindre la vieille guimbarde que Stiles se trimballait toujours malgré les années écoulées.

- Ne le sois pas. Il est mort dans l'exercice de ses fonctions et c'est ce qu'il a toujours voulu.
- Comment ça va, toi ? Je veux dire, c'était ton père ...
- Ca va faire trois ans, Derek. Je me suis fait à son absence, maintenant. Ma plus grande peur, c'était qu'il se fasse tuer par une créature surnaturelle. Ca n'a pas été le cas et maintenant, je n'ai plus peur de le perdre.
- C'est très ... Résilient, comme réaction.

Stiles tourna légèrement la tête vers Derek et esquissa un sourire à travers un rire bref.

- Je n'ai pas toujours été comme ça, tu sais. Sa mort a été l'une des épreuves les plus difficiles que j'ai eu à traverser. Mais le temps a passé. La vie a continué et j'ai décidé de la suivre, parce que c'est ce qu'il aurait voulu pour moi.
- Pourquoi ... Je veux dire, est-ce que tu as ... Enfin ... Non, laisse tomber. J'imagine que je n'ai pas vraiment envie de savoir.
- J'ai essayé.
- Quoi ?
- Tu veux savoir si j'ai refait ma vie après toi, non ?

Derek haussa légèrement les épaules, en fourrant ses mains dans les poches de sa veste en cuir : c'était un cadeau de Peter, à la fois geste tendre et gentille moquerie familiale pour lui rappeler le passé. Derek l'avait accepté de bon coeur et s'y était attaché autant qu'à la première qu'il avait portée, des années plus tôt.

- J'ai rencontré des personnes formidables. Elles ont été des partenaires de vie géniales, mais elles ont toutes fini par s'en aller.
- Pourquoi ?
- Parce que je ne pouvais pas tourner la page. Je n'arrivais pas à accepter ta disparition.
- Tu avais besoin de comprendre. Tu as toujours eu besoin de comprendre.
- Je t'aimais tellement. Et puis, je crois que nous étions heureux, non ? Je ne comprenais pas pourquoi tu m'avais abandonné.
- Je ne t'aurais jamais abandonné, Stiles. Jamais.
- Maintenant, je le sais. Mais j'ai passé huit ans à essayer de comprendre ce que j'avais fait de mal. Je voulais savoir pourquoi tu avais décidé que je ne valais même pas la peine d'un "au revoir".

Derek cligna lentement des yeux en soupirant de désespoir. Stiles avait souffert le martyr pendant que lui, gentiment, se contentait d'une vie d'animal sans s'inquiéter du monde extérieur. Il avait probablement subi des choses atroces durant sa captivité, mais son esprit lupin l'avait protégé de ces souvenirs et il ne s'en rappelait pas. Il ne pouvait désormais que constater les dégâts que son absence avait causés autour de lui.

- Comment s'est passé ton entrée dans la police ?
- Bien. J'ai réussi brillamment mes examens et j'ai eu mon premier poste à Washington. J'y suis resté un moment, et je suis revenu ici au décès de mon père. Mon seul regret, c'est de ne pas avoir pu le voir plus souvent, les dernières années.
- Tu n'as pas eu envie de retourner là-bas ?
- Je ne n'avais pas vraiment d'entourage, là-bas. J'ai préféré retrouver mes amis d'enfance et finalement, je suis resté là. Et puis, de là-bas j'avais beaucoup de mal à obtenir des informations sur ta disparition. Ici, j'avais un accès direct aux dossiers des personnes disparues.
- Tu m'as cherché si longtemps que ça ?
- Je n'ai jamais arrêté.

Derek prit une profonde inspiration et soupira lourdement, tâchant de ne pas regarder Stiles avec trop d'insistance. Le jeune homme continua d'avancer quelques pas avant de réaliser que le loup-garou s'était arrêté sans prévenir. Stiles l'imita et se retourna pour lui faire face, lui demandant d'un regard, pourquoi il s'était immobilisé.

- Ca va, Derek ?
- Tu ne m'aide pas.
- T'aider à quoi ?
- J'essaie de me retenir de t'embrasser, ou de te prendre dans mes bras. Tu n'imagine pas à quel point c'est difficile de t'avoir si près de moi sans pouvoir te toucher.

Stiles sentit un frisson lui parcourir le corps au seul souvenir de la paume chaude sur ses doigts, plus tôt dans la soirée. Mais la sensation de bien-être se recouvrait aussitôt d'une image sanglante et il secoua brièvement la tête pour chasser ses pensées, tout en reprenant sa marche sur le trottoir.

- On devrait peut-être retourner au parking. Je n'ai pas l'intention de rentrer à pieds.
- Tu as raison, rentrons.

Le chemin du retour se fit dans un silence religieux. Ils marchaient juste à côté l'un de l'autre mais c'était comme si Stiles s'efforçait de maintenir une distance de sécurité entre eux : juste assez pour que leurs épaules ne se touchent pas. Derek aurait pourtant donné n'importe quoi pour tenir la main de son compagnon. Mais il était prêt à se contenter de faire un pas à la fois, aussi longtemps que Stiles en montrerait le besoin : le jeune adjoint avait attendu huit ans d'avoir enfin des réponses à ses questions, Derek lui devait bien ça.