Chapitre 12

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L'animal resta d'abord tout aussi immobile que Stiles. Il ne le lâchait pas des yeux, mais il semblait analyser la situation, humant l'air aussi naturellement qu'il aurait pu poser des questions de vive voix. La main tremblante, Stiles chercha son téléphone dans sa poche en tâchant de ne faire aucun mouvement brusque. Si l'animal se sentait acculé, il risquait d'attaquer plus tôt qu'il le prévoyait. Chaque seconde était précieuse pour garder la vie sauve et Stiles n'envisageait pas de mourir ce soir.
Après quelques secondes, l'être humain réalisa que son téléphone ne lui était d'aucune utilité : il avait eu ce réflexe pour appeler au secours mais venait de se rappeler que ses amis étaient en fait déjà dans le secteur. Il se demanda ce qu'ils faisaient, pourquoi ils n'étaient pas déjà là puisque c'était le plan initial. Peut-être cet Alpha avait-il en fait une meute, qui avait neutralisé les amis de Stiles ? Bon sang, comment saurait-il ce qui était arrivé à Scott et aux autres ? Il n'avait pas entendu Lydia hurler. C'était certainement une bonne nouvelle, non ? A moins qu'elle n'eut été empêchée de le faire.
Alors que son cerveau tournait à plein régime, Stiles réalisa que le loup s'était mis en mouvement et descendait les quelques marches qui séparaient le manoir du sol de la forêt. Même après avoir rejoint l'humus et malgré la distance qui les séparait, l'animal semblait toujours énorme. Stiles recula d'un pas, prudemment, sans lâcher la créature des yeux. Elle non plus ne semblait pas décidée à regarder ailleurs. Ses oreilles étaient dressées dans la direction de l'être humain et son allure lente laissait penser qu'elle était sereine. Qu'importe ce qu'il était advenu de ses amis, Stiles était à la merci de l'Alpha et le lycanthrope semblait en avoir pleine conscience.
Stiles ne bougea plus pendant un long moment, laissant à l'animal le temps de le rejoindre pour lui renifler les mains. Ses yeux rouges observaient toujours ceux du bipède qui ne parvenait pas à se détacher de lui. Dans un mouvement qu'il ne sut expliquer lui-même, Stiles se laissa tomber à genoux dans la neige, juste en face du loup. L'animal marqua un léger sursaut en arrière, comme s'il avait été prêt à fuir pendant une fraction de seconde. Mais les deux corps s'immobilisèrent simultanément et Stiles sentit comme une brûlure lui consumer la poitrine de l'intérieur. Il tendit doucement la main vers le visage du loup et posa ses doigts contre la joue au pelage sombre, avant d'avancer davantage son visage jusqu'à coller son front à celui de l'animal, fermant les yeux dans le même mouvement. Il n'avait pas besoin de mots, pas besoin de preuve : il savait.
Leur contact se prolongea de longues secondes sans qu'aucun son ne vienne perturber cet instant hors du temps. Il n'y avait plus qu'eux, loup et humain, dans un monde qui semblait s'être arrêté à quelques centimètres de leurs corps.
Les yeux de Stiles restèrent clos de longues secondes et, dans une danse que lui-seul connaissait, son coeur cala son rythme sur celui de son homologue dont il sentit bientôt la cadence au travers d'une cage thoracique dépourvue de fourrure.
Les bras de Derek se refermèrent lentement autour des épaules de Stiles, leurs souffles se mêlèrent dans le cou de l'autre et c'est dans le gémissement plaintif de son compagnon, que les sanglots de Stiles trouvèrent leur écho.

- C'était toi ...

Ce n'était qu'un murmure, lâché par désespoir au milieu du silence et de l'obscurité qui les englobait. A ce moment précis, plus rien ne comptait. Les barrières que Stiles avaient construites au fil du temps pour tenir debout se rompirent tandis que ses larmes brouillaient sa vue. Il laissa tomber son visage contre l'épaule de son compagnon.

- Tu es vivant ... Tu es vivant ...

Le froid lui mordait les jambes et brûlait ses poumons, sa tête bourdonnait et de ses yeux dévalaient des larmes en cascade, séchant presque aussitôt au contact de l'air glacial pour lui tirer douloureusement la peau. Il ne savait plus penser. Ses émotions se mélangeaient dans sa tête et il ne savait plus s'il devait être soulagé ou en colère. Il était probablement les deux en même temps, ce qui ne rendait pas simple sa réflexion.
Huit ans. Stiles n'avait pas touché cet homme depuis huit ans. Il n'avait pas entendu sa voix ni vu sa silhouette depuis huit foutues années.
Doucement, la colère reprenait le dessus sur sa détresse. Il l'avait tant aimé. Il avait voué sa vie à l'amour qu'il avait éprouvé pour cet homme, qui avait décidé un beau jour de disparaître sans laisser aucune trace. Il s'était volatilisé.
Derrière eux, des bruissements de neige annoncèrent l'arrivée de Scott et de ses bêtas. Personne ne prononça un mot. Le jeune Alpha s'approcha, libéra son épaule du sac qu'il avait apporté avec lui, mais s'arrêta avant d'avoir rejoint ses amis.
Stiles l'aperçut sur sa droite, renifla doucement et se frotta le nez du dos de sa main. Il se releva en silence, ravalant ses larmes et sa tristesse, prit le sac dans les mains de son ami et avec une violence soudaine, le balança sur le poitrail du loup-garou nu qui s'était finalement relevé.
Tous observèrent l'être humain avec incompréhension. Lui-même ne comprenait probablement pas ce qu'il faisait : il le faisait, voilà tout.
Derek serra maladroitement ses doigts sur la hanse du sac à dos, comprenant peu à peu ce qu'il était supposé en faire : ses pensées humaines revenaient au fil des minutes. Il gardait toute son attention centrée sur Stiles dont le regard ambré continuait de le détailler malgré la colère, mais il fut rapidement capable de se souvenir qu'il devait s'habiller : le froid lui agressait la peau, maintenant qu'elle n'était plus couverte de fourrure et son instinct le poussa à ouvrir l'objet pour en sortir des vêtements afin de se mettre à l'abri de l'atmosphère glacial.
Il avait encore du mal à saisir ce qui se passait autour de lui. Son point de vue avait changé : il n'avait plus eu les yeux à une telle hauteur depuis très longtemps. Il lui semblait avoir perdu son odorat et son ouïe, sens ô combien importants pour sa survie, et il se sentait soudainement bien vulnérable. Pourtant, entouré de ces inconnus, il se sentait en confiance. Il ne parvenait pas encore à se souvenir d'eux, mais il était convaincu de les connaître.

[Sterek] Un fil d'argentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant