Chapitre 7

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« Nul ne peut échapper à son destin, il en est ainsi, chacun doit payer pour les fautes de l'autre ».

Angeline,


J'ai longé le grillage, le corps plié pour ne pas être repérée. J'ai réussi à soulever un bout de ce treillage, pour me glisser dessous, les extrémités de ce dernier mon déchiré le dos, retenant un peu de mon tee-shirt dans leurs serres. Je suis toujours vêtue de mes affaires de travail, soit une salopette bleue sur un tee-shirt blanc ainsi que de mes chaussures de sécurité, ressemblant à une paire de baskets. J'ai le dos en feu, je sens de petits rus* longer sa surface. J'ai la bouche sèche, le cœur qui palpite, mes bras comme mes jambes ne cessent de trembler. J'ai peur, une peur irrationnelle qui vous vrille les intestins, vous creuse l'estomac vous donnant envie de mourir, là maintenant, pour ne pas subir la torture que l'on vous fera si vous retombez entre leur main, voilà la peur ou devrais-je dire la frayeur qui envahit chaque fibre de mon corps, chaque parcelle de ma peau. Je suis comme une biche traquée par une horde de chasseurs. Je les entends crier, me héler, me menacer, ils ne sont pas loin. Leur avantage est la connaissance de ce territoire, moi je ne fais que courir droit devant, entre les arbres. Cette forêt est mon refuge mais elle pourrait être aussi mon cercueil. Je pleure en trébuchant maintes fois sur des racines ainsi que sur des branches mortes, tombées sur le sol humide. Elles se brisent sous mes pieds comme mes larmes sur les feuilles. Je ne dois pas perdre espoir, je dois me battre jusqu'au bout comme le fit mon père, lors des guerres qu'il mena.

J'arrive devant une grande falaise, infranchissable de par sa hauteur mais aussi de par sa pente. Mais je ne peux pas abandonner, non, je ne peux pas. J'agrippe de mes doigts écorchés, la roche coupante, essayant de grimper sur cette paroi mais soudain je suis tirée en arrière. On vient de se saisir de mon cuir chevelu, la douleur est intense dû fait de ma blessure antérieure, puis l'on me tire violemment, me faisant tomber sur ce sol trempé. Je croise alors ses yeux, les yeux du diable. Ses pupilles noires ont envahi ses orbes, sa mâchoire est serrée et saillante, je vais mourir aujourd'hui, entre les mains de ce monstre.

— Où crois-tu aller comme cela ? me dit il d'un timbre bas et menaçant.

Je sens toute la colère que sa voix transporte, je sens toute la cruauté qui se dégage de son corps.

— J'ai déjà attendu trop longtemps, ce n'est pas maintenant que tu vas m'échapper, l'heure est venue pour toi de payer.

Je voudrais lui demander de quoi il parle, je voudrais lui dire qu'il se trompe mais les mots sont bloqués au fond de ma gorge, je ne peux rien exprimer, je ne peux pas me défendre. J'ai l'impression qu'une énorme boule bloque mes cordes vocales.

— Ramenez là au sous-sol, qu'on la mette au fer cette fois-ci !

Soudain la boule s'évacue, me permettant de hurler.

— Non ! Laissez-moi ! Laissez-moi !

Deux hommes m'ont pris sous les bras, ils me trainent de nouveau vers leur bâtiment. J'ai positionné mes jambes en avant, freinant leur avancée mais ils sont forts. J'entraine avec moi, terre, feuilles, branches mais rien de les arrête.

Je vois que le diable est devant, ouvrant la marche, il ne détourne jamais son regard vers moi, non, il avance comme si je gardais le silence, comme si mes cris ne lui parvenaient pas.

— Mais qu'est-ce que je vous ai fait bon sang ! Je ne vous connais même pas ! Je suis innocente !

Le mot clef, le mot que je n'aurais pas dû prononcer. Il revient sur ses pas, s'approchant dangereusement de moi, ses hommes me redressent sur mes pieds pour que je puisse affronter le torrent haineux qu'il me déverse en me saisissant à la gorge, écrasant mon larynx, empêchant l'air de rentrer dans mes poumons.

— *L'innocence a parfois l'apparence du crime.

Il me relâche puis reprend sa route. Je prends une grande goulée d'air pour remplir mes poumons, toussant sous la douleur qu'il vient de m'infliger. Ses hommes continuent à me trainer mais cette fois-ci mes jambes ne sont plus en extension mais plus en flexion. Je viens de prendre une douche glaciale, ses mots n'ont aucun sens, je ne comprends pas de quoi il m'accuse. Un crime mais quel crime ? Celui de l'homme qui l'accompagnait lorsque la fusillade a démarré ? Mais je n'y suis pour rien. Ce n'est pas moi qui étais visée.

Ils me font longer le grillage, en faisant le tour jusqu'à un portail intégré sur un côté. Le diable regagne son antre pendant que de mon côté, on me mène aux fers. Je reprends donc la descente vers cette cave humide mais change de cellule, ils me mettent dans celle d'à côté, celle où un homme me parlait quelques heures plus tôt. Son absence dans cet endroit me dit qu'il a été exécuté pendant ma fuite. Il avait raison, nous n'avons pas eu le temps de faire connaissance. Les deux hommes me jettent contre le mur du fond, mon dos écorché vient heurter cette paroi de pierre, je serre les dents et préfère souffrir en silence, puis ils se saisissent de mes poignets, je me laisse faire, à quoi cela sert de se battre, je n'ai aucune chance, autant abandonner la résilience. Des bracelets larges en fer noir, me sont posés. Ils sont fixés dans le mur par une chaine dont les maillons sont si gros que je ne saurais les user sur la pierre. D'autres déjà ont dû essayer au vu des stries qui les recouvrent, traces ayant à peine rayé le métal.

Les deux hommes se retirent, sans un mot, sans un regard. Assise sur ce sol poussiéreux, je rassemble mes jambes contre ma poitrine. Mes bras écartés, comme fixés à une croix, pendent au bout de leur chaine, je ne peux que poser ma tête entre mes jambes, laissant couler une rivière de larmes. Je pensais avoir connu l'enfer en perdant mon père, ma maison et mes amis, mais ce n'était que l'entrée. Le plat lui, sera beaucoup plus indigeste.


Lexique :

* Ru : Petit ruisseau.

*L'innocence a parfois l'apparence du crime. Citation De Louis Vigée

Les Serviteurs du DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant