Chapitre 8

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« La vérité d'un homme, c'est d'abord ce qu'il cache ». André Malraux

Sean,

J'ai senti la rage envahir mon corps, j'ai senti la perte de contrôle imminente. Innocente, personne n'est innocent dans ce bas monde, personne ! J'aurai voulu serrer ce coup si gracile. Lui briser la trachée mais j'ai encore besoin d'elle. C'est ma monnaie d'échange, qu'importe si l'échange est factice, l'important est que celui qui recevra ce cadeau pense le détenir longtemps. Ce qu'il ne sait pas, c'est qu'une fois que j'aurais récupéré ce que je convoite, leur mort ne m'importera plus.

Je suis allé à la salle de sport, j'avais besoin d'évacuer cette rage qui m'empoisonnait le sang. J'ai frappé pendant une demi-heure dans ce sac de frappe, jusqu'à ce que mes phalanges soient en sang. La douleur de mon flanc n'a pas pu arrêter le combat que je menais, il fallait que cela sorte, que cela explose.

Je suis à présent assis sur l'un des bancs disposé le long des murs de la salle. J'ai la tête entre les mains, les yeux fermés et je l'entends. J'entends l'impact de la balle perforé son corps, je vois ses yeux surpris du choc qu'il reçoit, je revois sa main se tendre vers moi. Puis j'entends mon cri.

Mon épiderme se recouvrent petit à petit, de chair de poule. Cela part de mes mollets, remontant le long de mon corps, comme un serpent s'enroulant autour de sa proie, atteignant la surface de mes bras, se matérialisant par de petites bosses minuscules sur la surface de ma peau, levant avec elles, mon duvet.

— Prés ! ça va ?

Je relève ma tête vers mon V.P qui vient de me rejoindre. Cela m'extrait d'un passé qui venait de prendre possession de mon cœur, le broyant, l'écrasant jusqu'à ce qu'il ne puisse plus battre.

— Vous l'avez solidement attaché cette fois-ci ?

— Oui, ne t'en fait pas. Elle a eu de l'ingéniosité mais avec les bijoux qu'elle a aux poignets, elle ne risque pas de les retirer, à moins de se ronger les os pour n'avoir que des moignons.

— On ne peut pas se permettre de la perdre, pas maintenant, pas si près du but.

— Je sais. Personne n'aurait pensé que l'on puisse s'échapper de cet endroit. Au vu de l'état de ses doigts, elle a dû passer toute la nuit à gratter les joints.

— Je me fous de l'état de ses doigts ! je me fous de son état en général ! ce que je veux, c'est qu'elle reste en vie assez longtemps pour que l'échange se fasse. Elle a de prix que vivante !

— Je sais déjà tout cela. Nous allons faire installer une petite caméra de surveillance pour pouvoir surveiller ses faits et gestes, jusqu'au jour J.

— Parfait, fait cela !

Je me relève pour regagner la maison.

— Je serais toi, je passerais faire un tour du côté du Doc, tu as dû faire péter tes points.

Je baisse mon regard sur le pansement mis en place et vois qu'il est devenu carmin.

— Hum, je pense que je vais avoir droit à une remontée de bretelles, en bonne et due forme.

— Je n'aimerai pas être à ta place.

— Hum.

Il me quitte après m'avoir mis une tape sur le biceps. Pour ma part, je me dirige vers l'infirmerie qui jouxte notre demeure, mais qui a un accès également en longeant un couloir à l'intérieur. Je frappe un coup.

— Ouais ! entends je de l'autre côté.

J'entre et vois le Doc derrière son ordinateur, tapotant sur son clavier, ses lunettes sur le bout du nez.

— Tu fais très sérieux comme ça, on te l'a déjà dit ?

— Non, me répond t'il sans lever les yeux de son écran. On m'a dit que je faisais vieux, ce qui n'est pas faux, puisque maintenant que Filo est mort, je suis le doyen du haut de mes cinquante-huit ans.

— Pas faux.

— Qu'est ce qui t'amène ? me demande t'il soudain en levant enfin son regard vers moi. Oh nom de dieu ! Ce n'est pas vrai, toujours aussi bourrique, crénom de nom ! J'aurais dû t'attacher à ton lit !

Il se lève, fait le tour de son bureau puis vient me balancer une torgnole derrière la tête. Je ne bronche pas, sa colère est justifiée.

— Tu y serais passé si cette gonzesse n'avait pas été là pour te sauver le cul ! Tu le sais ça ? me crie t'il après.

— Laisse cette fille où elle est ! Je suis en vie car j'ai la peau dure, voilà pourquoi !

— Pauvre con ! Tu es en vie parce qu'elle a sauvé ton petit cul de grand connard !

— Ne cherche pas à la porter aux nues, son destin est déjà tout tracé !

— Que sais-tu de la vie de cette femme ? Es-tu sûr qu'elle n'a pas vécu pire que toi ? Tu m'as dit qu'elle avait perdu son père mais que sais-tu d'autres de sa vie ?

— Je n'ai pas besoin d'en savoir plus ! Je n'ai pas besoin de l'humaniser !

— Heureusement que de son côté, elle a fait preuve d'un peu d'humanité, sinon je serais en train de pleurer sur ta tombe ! Ne peux-tu pas laisser les morts en paix !

— C'est de mon frère dont tu parles ! Bordel !

— N'oublie pas que c'était aussi mon fils !

Le silence se fait. J'ai l'impression de revenir à l'âge de mes douze ans, lorsque j'avais entrainé mon petit frère alors âgé de six ans, dans une virée à moto. Nous avions fait une chute sur le bitume, je m'étais éraflé tout le côté gauche, alors que mon petit frère lui, se briser la jambe sur la barrière de sécurité. Ce jour-là, j'ai cru que mon père allait me tuer. Kenneth a mis deux ans avant de pouvoir remarcher et courir comme un gamin de son âge. Ma mère n'a pas supporté ce milieu de violence et d'insouciance, elle a préféré partir, nous abandonnant, disant qu'elle préférait nous quitter pendant que nous étions encore en vie, plutôt que de devoir attendre de voir passer notre cercueil. Depuis, elle a refait sa vie mais prend quand même de temps en temps de nos nouvelles. Inutile de vous dire que la mort de Kenni l'a profondément meurtri comme nous tous ici.

Une bouffée de nostalgie me prend, je sens l'humidité poindre au bord de mes paupières. Je relève ce regard humide vers mon père. Nous nous fixons puis dans un geste paternel, il vient me serrer dans ses bras.

— Il est mort fils, il est mort mais toi tu es en vie ! Tu dois vivre pour deux maintenant !

J'ai plongé ma tête dans son cou, mon corps est à présent secoué de sanglots, seule faiblesse que je m'autorise en présence de mon père.

— C'est de ma faute, j'aurais dû le laisser ici ! Je n'aurais pas dû l'écouter.

Mon père me décolle de son corps, me relevant le visage en posant ses mains sur mes joues.

— Non fils ! Ce fameux jour, ton frère était décidé à t'accompagner. Il était venu me voir juste avant, me demandant l'autorisation de te suivre. Il m'a dit qu'il avait un mauvais pressentiment, il m'a dit qu'il voulait te garder à vue. J'ai essayé de l'en dissuader mais il m'a averti qu'il irait avec ou sans ma bénédiction. Je la lui ai donnée ce jour-là, ne pensant pas que c'était la dernière fois que je le voyais.

Sa confidence me surprend. Jamais il ne m'avait parlé de cela, jamais il ne m'avait dit que mon frère avait un mauvais pressentiment.

— Pourquoi ? Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? lui fais je.

— A quoi, cela aurait il servi ? Tu t'en voulais déjà assez, rajouter à cela que ton frère sentait que le malheur allait nous toucher, n'aurait servi qu'à te mettre un peu plus à terre. On n'échappe pas à son destin fils, on le subit.

Je regarde le sol à présent, une goutte d'eau vient de s'écraser sur le carrelage, elle est suivie de quelques autres. Il met sa main derrière ma nuque, venant coller mon front contre le sien.

— Je n'ai plus que toi à présent, après cela, je n'aurai plus rien. Si tu viens à disparaitre à ton tour, je ne tarderais pas à vous rejoindre. Je suis uniquement encore là pour te guider mais aussi pour te raisonner. Allez, viens te coucher sur la table d'examen que je regarde les dégâts


Les Serviteurs du DiableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant