Faut-il toujours écouter sa mère ?

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Alors qu'elle finit de vérifier le contenu de sa valise, Etna entend la voix tonitruante de sa mère, Nira Vas, qui du rez-de-chaussée de leur résidence l'appelle :
— Etna, hâte-toi ! Nous devons partir !
— Oui, Mère, j'arrive de suite !
Elle sort de sa chambre et descend l'escalier pour la rejoindre.
— Je suis prête, Mère, nous pouvons y aller.
Nira, jolie quarantenaire aux formes généreuses, d'un caractère doux mais déterminé, n'a jamais caché à sa fille son souhait de l'établir dans un mariage avantageux. Elle s'avance d'un pas décidé vers la porte en incitant sa fille à faire de même.
— Très bien, dépêchons-nous. Je ne voudrais pas faire patienter les Bons. Nous avons déjà de la chance d'être invitées à cette réception dans leur maison de campagne. Ils font partie des amis les plus intimes du Roi, le sais-tu ? La famille royale ne sera pas présente pendant ces quelques jours, naturellement, mais ce séjour s'annonce formidable. Il parait que leur demeure est magnifique et madame Bons prend à coeur d'accueillir le mieux possible ses invités. Ta valse avec le Prince n'est peut-être pas totalement étrangère à cette invitation. Je n'en reviens toujours pas ! Quel honneur d'avoir été choisie parmi toutes ces jeunes filles pour partager une danse ! Il paraît qu'il n'en a accordées que trois ce soir-là. Te rends-tu compte ? J'espère que tu lui as fait bonne impression. Ce serait tellement formidable que tu deviennes princesse !
— Mère, ne vous emballez pas, s'il vous plaît ! Ce n'était qu'une danse et je pense que son choix s'est porté sur moi totalement par hasard. Il ne me reconnaîtra sûrement même pas si je le croise un jour .

Elle ajoute tout bas :
— Je l'espère de tout coeur en tout cas.
— Que dis-tu ma chérie ?
— Rien d'important Mère ! Mais comment se fait-il que madame Bons sache que c'est avec moi que le Prince a dansé ? J'étais masquée et je ne connaissais quasiment personne.
— Eh bien, tu as rejoint ton frère à l'issue de cette danse, n'est-ce pas ? Les gens ont dû faire l'association.
Après une hésitation, elle ajoute :
— Il se peut aussi que je l'aie évoqué devant quelques-unes de mes amies.
— Mère ! réprouve Etna.
— J'ai bien le droit d'être fière, non ? Allez ! Mettons-nous en route, il est grand temps !

Devant l'immense parc et la somptueuse demeure des Bons, les yeux des deux femmes brillent. La famille Vas est certes réputée, mais sa richesse est sans commune mesure avec celle de leurs hôtes du jour. L'imposante bâtisse, plus proche du château que de la maison familiale, est entourée d'un terrain d'une centaine d'hectares clos par d'épais murs qui recèlent de ravissants jardins de style Renaissance italienne.
Sur le perron, la maîtresse de maison les accueille chaleureusement :
— Madame et Mademoiselle Vas, quelle joie de vous recevoir ! Les autres invités sont arrivés, il ne manquait plus que vous.

Parée d'une robe somptueuse et de bijoux éclatants, cette femme, dont les cheveux grisonnants sont relevés en un chignon soigné, effectue avec grâce chacun de ses gestes.
La mère et la fille la saluent respectueusement. Elles la complimentent sur son domicile puis madame Bons les invite à se reposer de leur long voyage en attendant le dîner.

Tandis que Nira choisit de s'allonger dans sa chambre, Etna décide de profiter de la douceur de cette fin de journée printanière pour lire sur un banc du jardin.
Plongée dans son roman, elle n'entend pas arriver son interlocuteur :
— Ce roman semble passionnant.
La demoiselle relève les yeux, étonnée, et découvre un charmant jeune homme. Elle referme brusquement son livre et s'exclame :
— Excusez-moi, monsieur, je ne vous avais pas vu.
— Mais je vous en prie, ne vous excusez pas !
Il contemple quelques instants la jeune fille et continue :
— C'est un plaisir de vous revoir et de pouvoir admirer votre visage intégralement.
Etna considère le jeune homme les sourcils froncés.
— Je ne comprends pas, monsieur...
— Vous ne me remettez pas ? Nous avons dansé ensemble au bal des débutantes, jeudi dernier.
Pour répondre à l'effarement de la demoiselle, il ajoute :
— Vous avez conservé le même ruban bleu ciel dans vos cheveux. Un frisson parcourt le corps d'Etna, elle parvient juste à prononcer : — Vous...
— Oui ?
— Vous êtes... ?
— Je crois que vous avez eu trop de partenaires et vous peinez à m'identifier. Il me semble avoir compris que j'étais votre première danse et nous avons trinqué à votre anniversaire par la suite.

Envers et contre tousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant