Le lendemain matin, toujours perturbée par son après-midi avec le Prince, Etna s'installe sur l'un des bancs de son jardin avec un livre. La matinée est douce, le soleil révèle une végétation verdoyante. L'ambiance est paisible. Seuls les chants d'un merle et d'une mésange brisent le silence .
À l'abri du saule, elle contemple les massifs de fleurs qui colorent l'étendue d'herbe aux dimensions bien moins grandioses que celles du parc du palais. Pas un seul nuage en vue. La pluie ne devrait pas la surprendre aujourd'hui.
La jeune femme tente de se concentrer sur sa lecture mais les propos du Prince tournent en boucle dans sa tête et déclenchent une multitude de questions. Comment se pourrait-il que Noitan lui ait menti ? S'appelle t-il seulement Noitan ? Quel intérêt aurait-il à cacher son identité ? Aurait-il commis quelque délit ? Serait-il honteux de ses origines ?
Non, non, tout ceci est ridicule, madame Bons n'aurait pas toléré sous son toit un bandit ou un homme qui ne serait pas bien né.
Etna soupire. Plus que ses propos, ce sont les émotions qu'a fait naître le Prince qui l'ébranlent encore. La jeune femme se remémore le moment où Tidure lui a crié qu'il ne lui permettrait pas d'épouser Noitan. Elle sent l'exaltation gagner de nouveau son corps alors qu'elle revit la scène.
Dans le jardin du palais, tous les regards se portent soudainement sur leur couple. Quelques exclamations d'étonnement résonnent autour d'eux, l'éclat de voix du Prince ayant perturbé le calme environnant.
Il est reconnu de tous que Tidure possède une très grande maîtrise de soi et son emportement s'en trouve d'autant plus choquant.
Monsieur Amac, toujours à proximité de son ami, s'approche pour s'enquérir de la situation.
Mais avant qu'il ne soit à leur portée, Etna, qui sent les larmes lui monter aux yeux, détourne la tête et s'éloigne à la hâte.
Tidure la poursuit et l'attrape par le bras, l'obligeant à lui faire face. Il reste muet un instant en découvrant son visage, décomposé, et l'étonnement lui fait lâcher prise.
Elle en profite pour reprendre sa fuite. Il la hèle :
— Etna ! Attendez !
N'obtenant pas de réponse, il court après elle et l'enjoint de s'arrêter. La raison d'Etna, bien que malmenée, demeure encore suffisamment présente pour lui rappeler qu'elle échange avec un membre de la famille royale et l'incite à ne pas poursuivre son chemin.
Elle obtempère donc, mais sans se retourner.
Quand Tidure arrive à sa hauteur, il s'approche doucement d'elle et pose sa main sur sa joue, essuyant avec son pouce une larme qui coule le long de sa tempe.
Etna ferme les yeux. Un délicieux frisson parcourt son corps au moment où leurs peaux entrent en contact. Lorsqu'elle les rouvre, une drôle d'impression s'empare d'elle en découvrant le regard de Tidure, un regard dans lequel elle décèle de la souffrance mêlée à de la tendresse.
Aucune colère. Aucun mépris. La douceur qui émane de lui la bouleverse. Cette impression fugace est vite supplantée par le terrible manque qu'elle ressent quand il retire les doigts de son visage.
Il lui tend alors un mouchoir et s'adresse à elle avec bienveillance tandis qu'elle porte le bout de tissu à ses yeux :
— Etna, ne réagissez pas ainsi, s'il vous plaît.
À cet instant précis, de grosses gouttes de pluie se mettent à tomber.
Faisant fi du contexte, il poursuit :
— Je ne pensais pas que mes propos vous toucheraient tant. Je cherchais juste à vous protéger. Si cela peut vous consoler, je demanderai de nouveau à mes informateurs de vérifier leurs sources et je parlerai moi-même à madame Bons pour découvrir le fin mot de cette histoire.
— Vous feriez cela ?
— Oui, la rassure-t-il. En attendant, promettez-moi de rester sur vos gardes ! Je reviendrai vers vous dès que j'en saurai plus.
— Merci.
Voilà le seul mot qu'elle réussit à prononcer, encore chamboulée par le mélange d'émotions qui la traversent.
Monsieur Amac les rejoint juste après en s'exclamant :
— Tidure, vous devriez vous mettre à l'abri, ainsi que mademoiselle, vous allez être trempés !
— Edar, vous avez raison, nous vous suivons !
La pluie s'intensifie alors et monsieur Amac se met à courir en direction du palais.
Tidure retire sa veste, la soulève et s'approche d'Etna. Il l'abrite sous le vêtement, évalue la distance qui les sépare de la demeure et lui déclare :
— Retroussez votre robe, il va falloir courir !
La demoiselle s'empresse d'obéir et les deux jeunes gens trottent à bonne allure dans la terre humide, en riant de l'incongruité de la situation.
Au bout de quelques mètres, les talons d'Etna se prennent dans une petite branche et pour rétablir son équilibre, elle s'agrippe au torse de Tidure. Surpris par ce contact, il s'arrête et se tourne vers elle. Elle s'excuse, embarrassée de la proximité que sa maladresse vient d'occasionner.
Il saisit alors sa main avant qu'elle ne la retire et y pose un léger baiser en plongeant ses yeux dans les siens. Ce qu'elle lit à cet instant dans le regard de Tidure ne s'apparente plus à de la tendresse.
Ses pupilles sont dilatées, son expression plus sauvage. Elle sent son propre corps échapper à son contrôle et réagir à cet appel qu'il lui lance.
Sa respiration s'accélère, son coeur bat la chamade, elle sent de petites décharges dans le bas de son ventre. Il se hâte de tourner la tête et reprend en marchant la trentaine de mètres qui les sépare encore de leur objectif. Il marmonne quelques mots qu'elle ne parvient à percevoir mais qui ne semblent pas de toute manière lui être destinés. Ils atteignent quelques secondes plus tard le palais, à moitié trempés et les joues rougies.
Au moment où ils passent les portes, les domestiques se jettent sur eux pour les éponger au plus vite. Tidure donne immédiatement des ordres pour qu'une femme de chambre accompagne Etna et lui fournisse des vêtements secs tandis qu'il part avec un valet dans ses appartements.
Une fois prête, elle descend le magnifique escalier en marbre et s'apprête à quitter le palais pour revenir chez elle. Monsieur Amac, présent dans le hall, la salue et lui prononce les phrases suivantes qui la déconcertent encore actuellement : « Il n'est pire tourment que de voir l'élue de votre coeur se détourner de vous ! Ne le torturez pas, je vous prie.»
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Envers et contre tous
RomanceEtna Vas, dix-huit ans, peut enfin faire son entrée dans le grand monde. Le bal des débutantes, donné en l'honneur du jeune Prince Tidure, est l'occasion parfaite pour espérer obtenir des propositions de mariage. Un concours de circonstances va la m...