Que la fête commence ! (1/2)

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Le parc de Lavitse, qui s'étend sur près de huit cents hectares, accueille en cet après-midi de juin un spectacle extraordinaire. Quelques jongleurs s'activent près de l'entrée, tandis qu'au loin Etna remarque de grandes flammes lancées par des cracheurs de feu. Tout est nouveau pour la jeune femme et elle s'émerveille de chaque découverte au fil de sa progression dans ce vaste terrain spécialement aménagé pour l'occasion.

— C'est magnifique, n'est-ce pas, soeurette ? lance monsieur Vas.

— Oh oui, Rio ! Tout ce monde réuni ici ! Toutes ces couleurs !
Etna désigne au loin des chevaux.

— As-tu vu là-bas, près du lac ? Que font ces cavaliers ? demande la jeune femme.

— C'est une course de bague. Ils doivent décrocher d'un coup de lance un anneau suspendu à une potence.

— Et que représentent leurs costumes ?

— Et bien, quatre équipes ont été constituées et chacune a revêtu un costume symbolisant une nation imaginaire.

— Ils sont fort colorés et exotiques. J'adore ! Tu n'y participes pas ?

— Non, je n'apprécie pas vraiment ce genre de jeu. Je préfère profiter des représentations théâtrales. Et si tu en as l'occasion, je te conseille d'aller visiter la ménagerie.

— Tu ne m'y accompagneras pas ?

— Non, je veux bien jouer ton chaperon en l'absence de notre mère, mais je ne compte pas rester collé à toi tout le temps des fêtes du Solstice. Cependant, il serait bon que nous nous mettions d'accord sur un point de rendez-vous pour notre retour cette nuit.

— Mais tu as vu toute cette foule ? Nous sommes plusieurs milliers ! Ne me laisse pas seule, je t'en prie !

— N'as-tu point convenu d'un endroit pour retrouver ton amie ? Celle avec qui tu discutais au bal des débutantes...

— Tu penses à Ema ? Non. À vrai dire, nous sommes plutôt en froid.

— C'est fâcheux. As-tu prévu un autre plan ?

Etna fixe son frère en affichant un sourire malicieux.

— Pas vraiment. Je pensais passer la journée avec mon chaperon.

— Quelle malchance que notre mère soit tombée malade ! Qu'a-t-elle exactement ?

— Elle s'est sentie mal hier soir, juste après avoir lu une lettre qu'elle venait de recevoir. Elle est restée vague avec moi. Elle m'a juste indiqué qu'elle s'inquiétait pour la santé de Père.

— Sais-tu qui lui a adressé cette missive ? A-t-elle précisé de quels maux il souffrait ?

— Non, elle n'a rien dit de plus. J'espère qu'il ne s'agit de rien de trop grave.

Les jeunes Vas poursuivent leur progression dans le parc. Le premier jour de l'été offre une belle promesse de chaleur pour le reste de la saison. Tandis que Rio s'éponge le front, Etna s'amuse à tourner son ombrelle, tout en reprenant la discussion :
— Mais, dis-moi ! À ton tour de m'éclairer ! Pourquoi ton épouse ne t'a-t-elle point accompagné ? Etes-vous fâchés ?

— Du tout. Au contraire, même. Elle se sentait trop fatiguée pour venir aux festivités. Pour qui est déjà venu, il est évident que cela serait trop éprouvant dans son état.

— Son état ?

— Oui, soeurette ! Garde la nouvelle pour toi mais il est bien possible que je ne tarde pas à avoir un héritier.

— Oh ! Félicitations !

— Merci. Tu comprendras donc que j'ai bon espoir de profiter de ma liberté d'homme célibataire pour festoyer grandement ce soir avec mes amis !

— Bien entendu. Mais ne pourrions-nous pas rester ensemble, le temps que je trouve une connaissance ? Ensuite, je te promets de te laisser tranquille profiter de tes amis !

— Très bien, soeurette. Marché conclu. Suis-moi, j'ai d'abord besoin d'un bon verre de vin pour me mettre dans l'ambiance !

Malheureusement pour Etna, Rio ne tient que peu de temps son engagement, s'échappant à la première occasion pour retrouver quelque connaissance. Seule, la jeune femme erre parmi la foule dans l'espoir de repérer un visage connu.
Elle sent un doigt sur son épaule et entend :

— Vous cherchez quelqu'un ?

Elle se retourne et se trouve face à un homme de taille moyenne aux cheveux gris. Etonnée, elle lui répond :

— Pardon mais je pense que nous ne nous connaissons pas.

— En effet, mademoiselle et c'est bien dommage ! Druol Fob, pour vous servir ! lance t-il en s'inclinant.

Ce nom semble familier à Etna. Elle se présente et cherche dans sa mémoire. Druol Fob, Druol Fob...
— Mademoiselle, j'ai une petite devinette pour vous : une araignée et un pou font la course. Qui va gagner ?

— Euh... je ne sais pas.

— Et bien le pou ! Parce qu'il est toujours en tête !

Après quelques rires, il enchaîne :
— Allez, je vous en propose une autre ! Comment s'appelle la fée la plus paresseuse ?

Impatient de dévoiler son jeu de mots, il presse Etna :
— Vous ne trouvez pas ?

La demoiselle secoue la tête.

— La fée Néante ! s'esclaffe t-il. Elle est bonne, n'est-ce pas ?

Oh non ! Druol Fob ! La connexion se fait : l'homme au masque rouge, la jeune femme qui s'ennuie. Les recommandations d'Ema lors de sa première soirée !

Etna comprend qu'il faut fuir, vite !

— Excellente ! Merci pour ce moment, lui répond-elle, un sourire forcé aux lèvres.

— Et savez-vous ...

— Vous m'excuserez, monsieur, le coupe t-elle, mon frère n'apprécie guère que je m'entretienne avec des inconnus. Il me fait signe derrière vous, je sens bien son mécontentement. Je ne peux me permettre de le faire patienter. Au revoir, monsieur !

Etna s'éclipse, ne laissant pas à son interlocuteur le temps de réagir. Sentant le regard de Druol Fob l'accompagner, elle se dépêche de s'approcher d'un groupe d'hommes et s'adresse à l'un d'entre eux qu'elle a déjà aperçu au cercle littéraire.

— Bonjour, monsieur.

— Bonjour Mademoiselle Vas, que puis-je pour vous ? lui répond le jeune homme.

— Vous connaissez mon nom ? s'étonne t-elle.

— Bien entendu, il n'y a pas tant de jeunes femmes que cela dans notre groupe de lecture, s'amuse t-il.

— Oui, vous avez raison, reconnaît-elle.

Elle jette un regard en direction de Druol Fob et constate avec soulagement qu'il semble avoir trouvé une nouvelle proie.

— Je suis surpris que vous ne soyez pas auprès du prince Tidure, reprend le jeune homme.

Cette remarque offre une lueur d'espoir à la jeune femme. Elle l'interroge :

— Je ne l'ai pas encore vu. Savez-vous où je pourrais le trouver ?

— Oui, je l'ai croisé, il se rendait là-bas, déclare t-il en pointant du doigt un lieu à quelques centaines de mètres d'eux, près du lac. Une course à trois pieds a été organisée. Il voulait assister au spectacle.

La demoiselle le remercie et se dirige vers l'endroit indiqué, soulagée de trouver de la compagnie. En chemin, elle aperçoit Ema au bras d'un jeune homme qu'elle suppose être son prétendant, Etap. Etna s'attriste lorsqu'elle constate que son ancienne confidente évite volontairement de la croiser. Elle sait à présent que les mises en garde qu'elle a occultées étaient finalement certainement justifiées. Elle hésite à la suivre pour s'excuser mais la réaction de son amie l'en dissuade .

Envers et contre tousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant