Alors qu'elle se dirige vers l'amphithéâtre, Etna promène son regard autour d'elle à la recherche d'une connaissance. L'envie de briser sa solitude l'étreint. Elle reconnaît non loin de là Edar et Tidure un peu à l'écart, en grande discussion. En l'apercevant, le Prince hâte le pas.
Celle-ci, loin de se décourager, retrousse sa robe et les course. Arrivée à leur hauteur, elle s'exclame :
— Votre Altesse, vous savez que le respect des protocoles n'est point mon fort. Je me permets donc d'insister, j'ai besoin de comprendre ce que vous me reprochez !Le Prince s'arrête. Son front est plissé par la colère et une lueur de haine brille dans ses yeux.
Il s'adresse à elle, énervé :
— Mademoiselle, il serait peut-être bon justement que vous commenciez à respecter les règles et traditions de notre royaume ! Rappelez-vous que je ne suis pas n'importe quel manant !— Tidure, je ne souhaite pas vous manquer de respect mais je voudrais seulement comprendre...
— Et ne m'appelez plus par mon prénom ! Vous en avez perdu le droit ! l'interrompt-il.
— Et quand donc ? l'interroge Etna.
— Quand vous avez embrassé cet homme ! rétorque Tidure énervé.
Etna porte sa main à la bouche en émettant un cri de surprise.
Edar observe, abasourdi, son ami puis constate la mine décomposée de la jeune femme. Finalement, il balaie du regard les alentours et déclare :
— Il me semble que nous sommes suffisamment éloignés pour que personne ne vous ait entendu. Et la faible luminosité devrait vous permettre au pire de mettre le doute sur vos identités.Tidure souffle bruyamment et se détourne. Son ami le retient par le bras et ajoute :
— Je pense qu'il est nécessaire pour votre bien à tous les deux de mettre les choses au clair. Tidure, je me rends au théâtre retrouver nos amis. Quand vous en aurez terminé, rejoignez-moi, le spectacle devrait bientôt commencer !Le Prince acquiesce et regarde s'éloigner son ami.
Etna, d'une faible voix, déclare :
— Je ne l'ai pas embrassé.Le Prince reporte son attention sur elle et d'un air dédaigneux, lui répond :
— Allez-vous me faire croire que l'on m'ait menti ? Mes informateurs vous ont vue dans le parc à proximité de votre demeure. Ils m'ont tout relaté le lendemain de notre dernier rendez-vous littéraire.— Vos informateurs ?
— Mes espions, si vous préférez. J'ai toute confiance en eux. Continuez-vous à nier les faits ?
— Non, votre Altesse, vos informations sont justes, avoue Etna. J'ai bien failli embrasser monsieur Itsbo et seule l'intervention de mon amie Ema m'en a empêchée. Nos lèvres étaient proches et je comprends leur méprise.
— Je me suis trompé sur votre compte. Vous seriez donc une femme de petite vertu qui ne se soucie guère de son honneur ?
À ces mots, Etna fond en larmes. Le Prince, désarçonné par cette réaction, s'approche de la jeune femme et pose sa main sur son dos, tout en l'invitant à le suivre :
— Venez par ici, nous serons plus tranquilles. Je ne veux pas que nous servions de spectacle.
Il l'entraine près d'un arbre, se mettant face à elle pour couvrir la vue de son visage en pleurs par son imposante carrure et lui tend un mouchoir.Elle le remercie puis lui avoue :
— Vous avez raison. J'ai tellement honte ! J'ai fait une grave erreur, je l'admets. La jeune fille que j'étais, tout juste sortie de pension et bercée par des romances, s'est imaginée avoir rencontré le prince charmant en la personne de monsieur Itsbo. Je regrette tellement, si vous saviez ! Ces derniers jours m'ont ouvert les yeux. J'ai compris que je ne l'aimais pas et que je lui avais porté à tort de l'intérêt. Je sais que je mérite votre mépris. Mais je vous en supplie, ne rendez pas cette information publique ! Je déshonorerais ma famille et je serais obligée d'épouser cet homme. Et je ne le supporterais pas !— Vous pensez que je tomberais si bas ? Ce n'était nullement mon intention, voyons !
— Merci. Merci mille fois ! s'exclame Etna en serrant les mains du Prince.
Surpris par ce mouvement, il observe leurs mains jointes. Gênée, Etna se dépêche de les lâcher. Elle s'apprête à le quitter quand il relance la conversation :
— Mais pourriez-vous m'éclairer ? Pourquoi ce changement de jugement à son égard ?— Vous aviez raison. Il n'était pas honnête avec moi. Itsbo n'était pas son nom de naissance. Je viens d'ailleurs d'apprendre que son réel nom était Imur.
— Je me suis entretenu avec madame Bons et elle m'a donné la même information. Elle était, comme vous me l'aviez dit, amie avec madame Itsbo, la mère de cet homme, lorsqu'elle était encore en vie. Mais le petit portait le nom de son père, Imur, à l'époque.
— Oui, et ce nom est étrangement le nom de l'ancien associé de mon père.
— Cela ne peut être une coïncidence.
— En effet, je ne le pense pas non plus. D'autant que j'ai appris qu'il s'était renseigné sur moi avant de m'aborder. Notre rencontre au bal des débutantes n'était en aucun cas due au hasard.
— Et madame Bons ne l'avait pas initialement convié à son séjour. Il s'est rendu dans leur maison de campagne sans y être invité, invoquant le désir de partager des souvenirs avec une personne ayant bien connu sa mère. Madame Bons s'est sentie obligée de lui proposer de rester pour sa réception quand il s'est présenté à sa porte quelques heures avant le commencement. À présent, tout devient clair. Nous pouvons supposer qu'il espérait ainsi pouvoir vous aborder.
— J'étais loin d'imaginer cela !
— Mais pourquoi toutes ces manigances pour s'approcher de vous ? Pourquoi un tel intérêt pour vous ?
— C'est ce que j'aimerais découvrir. J'ai interrogé mon frère sur les relations qu'entretenaient mon père avec son associé. Tout ce que je connais de cette histoire, c'est que cet homme, après s'être compromis dans certaines affaires, a quitté le pays brutalement à la demande de mon père.
— Voilà suffisamment matière à douter de votre prétendant.
— Je fais plus que douter de lui. Je pense qu'il a volontairement voulu causer ma perte. Cette tentative de baiser dans un lieu fréquenté n'était point innocente et même sans doute préméditée. Cela m'a été confirmé ensuite par sa demande de nous enfuir pour nous marier sans le consentement de ma famille. Il est évident que si je le suis, je suis perdue.
— Il vous a demandé de l'épouser ?
— Oui.
— Et qu'avez-vous répondu ?
— De me laisser quelques jours pour y réfléchir, même si mon choix est déjà certain.
— Il est heureux que vous ayez découvert tout ceci avant qu'il ne parvienne à ses fins.
Quelques rires se font entendre au lointain, de toute évidence en provenance de couples qui profitent du crépuscule pour batifoler discrètement. Etna parle plus bas :
— J'ai quand même une question. Je suis inquiète. Etes-vous sûr que ceux qui vous ont révélé mon faux pas ne parleront pas ?— Ne vous tracassez pas. Ces informateurs travaillent à mon service et obéissent à mes ordres. Je ne doute pas de leur loyauté. Ce petit incident est clos. Votre honneur est sauf.
Embarrassée, la jeune femme détourne le regard avant d'avouer, les yeux baissés :
— Malheureusement, cette erreur m'a malgré tout coûté quelque chose qui m'est cher.— Que voulez-vous dire ?
— J'ai perdu votre estime.
Le Prince pose son index sous le menton de la jeune femme pour qu'elle relève son visage et lui murmure :
— Je suis heureux que vous m'ayez avoué la vérité. Cet homme a abusé de votre naïveté pour obtenir ce baiser. Vous êtes fautive, certes. Mais vos remords apaisent ma colère.— Vous me rassurez. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour, à l'avenir, être digne de votre estime et peut-être même regagner votre amitié, votre Altesse.
— Mon amitié, bien entendu... soupire Tidure.
Alors qu'il prononce ces derniers mots, une musique s'élève au loin.
Le Prince tend sa main vers Etna et lui déclare : — Dépêchons-nous ! La pièce va commencer !
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Envers et contre tous
RomanceEtna Vas, dix-huit ans, peut enfin faire son entrée dans le grand monde. Le bal des débutantes, donné en l'honneur du jeune Prince Tidure, est l'occasion parfaite pour espérer obtenir des propositions de mariage. Un concours de circonstances va la m...