Envers et contre tous

Noceur (1/2)

Etna observe son reflet dans le miroir. La demoiselle naïve découvrant le monde a fait place en quelques mois à une jeune femme mieux armée pour affronter les écueils de la vie en société. Elle finit d'ajuster sa toilette, prête à en découdre avec cette incroyable journée qui la consacrera épouse du Prince Tidure, lorsque sa mère pénètre dans sa chambre. Emue aux larmes, cette dernière l'étreint longuement.

— Je ne pourrai être à tes côtés en ce grand jour mais je préfère que votre mariage ait lieu aujourd'hui. Avec la menace de monsieur Nisnas qui plane sur vos têtes, il vaut mieux ne pas retarder encore de deux mois votre union.

Etna acquiesce, les yeux brillants. Elle lui confie ses regrets de ne pas avoir toujours suivi ses recommandations maternelles sur ses choix amoureux et l'invite à lui rendre visite dans un avenir très proche. Après avoir délivré à sa fille ses ultimes conseils sur la vie maritale et ses meilleurs voeux de bonheur pour les années à venir, Nira consulte l'horloge et s'impatiente :

— Rio n'est toujours pas arrivé pour te conduire devant le maire ?

— Vous le connaissez, la ponctualité n'est pas son fort, tempère Etna.

— Mais un jour comme celui-ci ! Il aurait pu faire un effort ! Vous ne pouvez faire attendre la famille royale.

— Calmez-vous, Mère ! Je suis certaine qu'il sera là dans quelques minutes.

Au bout d'une heure de patience vaine, la future mariée décide, partagée entre colère et inquiétude, de se rendre seule au palais Egairam où l'attend son futur époux.
Etna pénètre seule dans l'édifice. En l'absence de son père et de son frère, elle a refusé qu'un autre homme la conduise devant le maire. Le Roi lui a concédé cette entorse aux traditions sous l'impulsion de la Reine, la demoiselle n'ayant de toute façon aucun proche de sexe masculin pouvant se targuer de la confier à son futur époux.

Des bancs ont été disposés à l'intérieur du palais et ses colonnes ont été harmonieusement décorées de milliers de fleurs roses et blanches pour l'occasion.

Lorsqu'elle se pose quelques instants au début de l'allée centrale pour inspirer avant le grand saut, tout le gratin étrebilois venu assister à la cérémonie se retourne. Etna n'y prête pas attention et se focalise sur Tidure, qui fait face au maire. Alors qu'elle commence à remonter l'allée centrale, stressée, dans sa délicate robe blanche parée d'une traîne magistrale, les chuchotements et exclamations des dames qui rivalisent d'élégance dans leurs plus belles toilettes et des hommes qui ont tous revêtu leur costume de cérémonie attirent l'attention du Prince. Il se retourne et fait face à la future mariée.

Au moment où leurs regards se croisent, une expression indéfinissable traverse le visage du jeune homme.
Etna s'avance, troublée, en ne le quittant pas des yeux, mais alors qu'elle atteint le milieu de l'allée, il brise leur contact visuel et lui tourne le dos.

Inquiète, la jeune femme ralentit le pas. C'est alors qu'elle entend un léger bruit qui l'interpelle. Quelqu'un cherche à attirer son attention. Elle tourne la tête vers les bancs et découvre avec surprise son amie Ema, qui lui fait signe. Lorsque cette dernière constate que son appel a fonctionné, elle rayonne de joie. La future mariée lui rend son sourire, ravie de la présence de cet inattendu soutien. Etna se concentre ensuite de nouveau sur son but dont seulement
quelques pas la séparent.

Arrivée aux côtés de Tidure, l'angoisse la gagne quand elle constate que le jeune homme ne lui offre à voir que sa chevelure. Elle alterne entre regards à l'officier d'état civil et contemplation du sol, troublée par l'attitude du Prince. Son cerveau se met alors à analyser la situation en débouchant sur une multitude de questions. A-t-il changé d'avis ? Le scandale sur sa famille s'est-il répandu de telle sorte qu'il ne peut consentir à leur union ? Est-il responsable de l'absence de Rio ?