Sur mesure

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En entrant chez la couturière, Etna n'en croit pas ses yeux. Trônant au milieu de la boutique, la Reine étudie quelques étoffes avant de se tourner vers elle.

— Bonjour, Mademoiselle Vas !

— Votre Majesté, répond la demoiselle, impressionnée, en tirant sa révérence.

— Etes-vous venue pour essayer votre robe de mariée ?

— À dire vrai, je ne suis pas sûre qu'elle soit prête.

— Comment ? Mais les noces sont dans quelques jours !
L'ajournement de cet achat reflète-t-il le peu d'emballement que vous ressentez à l'idée de vous unir à mon fils ?

— En aucune façon, se défend Etna en baissant les yeux. Les mois précédents ont été éprouvants et je n'avais point les idées claires. Je ne me suis pas rendue compte que l'échéance se rapprochait tant. Je pensais choisir ma tenue avant-hier mais la santé de madame Lif, ce dont je ne lui tiens aucunement rigueur, a repoussé de quelques jours cet essayage.

La jeune femme espère avoir été assez convaincante afin que la Reine ne s'aperçoive de son mensonge. Le report de cette tâche, pourtant fort agréable pour les futures mariées, d'abord dû à ses doutes sur l'honnêteté du Prince puis à sa peur de l'annulation des noces suite aux graves accusations qu'elle avait proférées à son encontre, n'est en aucun cas la conséquence d'un oubli du temps. Chaque matin, depuis qu'elle a réalisé qu'elle aime sincèrement Tidure, elle décompte les jours la séparant du moment où elle s'unira à celui qui occupe toutes ses pensées. Leur baiser n'a que décuplé son impatience de devenir son épouse. Cependant, la fuite de monsieur Nisnas, conjuguée au souvenir de la tentative de rapt à laquelle elle a échappé de justesse, l'ont plongée dans un cruel état d'anxiété.

À présent, une alternance de cauchemars hante ses nuits : ceux où Noitan parvient à l'enlever, ceux où Rio se fait assassiner, et les autres où lorsqu'elle arrive à la cérémonie, son bien-aimé se tient devant l'officier d'état civil avec une autre femme qu'elle. Bizarrement, il s'agit souvent d'une magnifique brune.

— Bien, déclare la Reine. Il n'y a plus de temps à perdre.

Elle se tourne vers la jeune couturière, restée à l'écart depuis le début de leur conversation, et lui ordonne :
— Mademoiselle Lif, mettez-vous au travail ! La fiancée de mon fils doit avoir pour ses noces une robe digne d'une princesse.

Elle s'adresse ensuite à Etna d'un ton qui n'admet aucun refus :
— Vous ne verrez aucun inconvénient à ce que j'assiste à vos essayages ?

— Bien sûr que non, votre Majesté.

Etna s'absente un instant le temps d'enfiler la tenue que la couturière a réalisée selon le modèle qu'elle lui avait désigné lors de leur dernière rencontre. Lorsqu'elle revient auprès de la Reine vêtue de sa robe de mariée, cette dernière continue la discussion :
— J'ai tout de suite su que vous étiez spéciale.

— Pardon. En quoi suis-je spéciale ? s'étonne Etna.

— Pour mon fils, vous l'êtes. Vous lui avez fait forte impression dès votre première rencontre. Je ne sais pas ce que vous lui avez dit mais je vous avoue que j'ai été surprise lorsqu'il m'a demandé une faveur.

— Comment cela ?

— Après votre danse au bal des débutantes, il m'a quasiment supplié d'organiser une cérémonie pour découvrir chacune des demoiselles. Il pensait certainement que je n'avais pas deviné ses intentions. Mais une mère sent ce genre de choses.

La couturière s'absente pour chercher de la dentelle laissant les deux dames converser.
La Reine sourit et reprend, amusée :
— Enfin, surtout quand la mère est reine et a la chance d'avoir des oreilles partout.

Envers et contre tousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant