Tête à tête

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Après avoir plusieurs fois rebroussé chemin par manque de courage, Nira Vas fait appel à toute son énergie pour enfin rejoindre sa fille à la bibliothèque située au rez-de-chaussée de la demeure. Elle redoute sa réaction suite aux révélations qu'elle lui a faites quelques jours plus tôt. Lorsqu'elle pénètre dans la pièce, Etna relève subrepticement les yeux du livre qu'elle tient entre ses mains pour observer l'intrus qui trouble sa quiétude. L'étonnement, furtif, gagne son regard puis la colère se peint sur son visage.

— Mère, se contente-t-elle de lancer.

— Etna, quelle est ta lecture du jour ?

— Un roman épistolaire, répond la jeune femme, laconique.

Sentant la tension dans le ton employé par sa fille, Nira avance précautionneusement :

— Comment te sens-tu ?

— Vous ne m'adressez la parole que pour me débiter des banalités.
N'aurait-il pas été plus utile de me tenir informée des histoires de notre famille ? Je n'en serais sûrement pas là où j'en suis aujourd'hui si je n'avais pas été mise à l'écart d'informations essentielles, persifle la jeune femme.

— Je conviens, à présent que j'en vois les conséquences, que j'ai été mal avisée de ne pas te mettre dans la confidence des affaires de ton père et du drame qui s'est joué avec la famille Imur voilà maintenant huit ans.

— En effet...

— Mais tu dois comprendre, ma chérie, que mon but était de te protéger. Je ne voyais pas l'intérêt de partager avec toi les agissements malhonnêtes de ton père. Cela n'aurait provoqué que la déception d'une petite fille à l'égard de l'homme le plus important de sa vie.

— Je ne suis plus une petite fille ! proteste Etna.

— À l'époque où les faits se sont passés, tu avais à peine dix ans. Et penses-tu réellement qu'il était aisé pour moi d'aborder ce genre de sujet avec toi à peine sortie de pension ? Je pensais que cette histoire était loin de nous. J'espérais juste que tu épouses un honnête homme et que tu sois préservée de tous les tracas que j'ai pu subir au cours de ces dernières années. La tranquillité d'esprit m'a quittée le jour où j'ai découvert la réelle source de nos revenus. Cette activité est pleine de risques. Je tremblais à l'idée que ton père se fasse assassiner et à présent je tremble pour Rio. Sans compter que j'ai culpabilisé, crois-moi, chaque fois que j'ai pensé à ce pauvre monsieur Imur, sa femme et leur fils, obligés de quitter leur foyer, leurs amis, leur pays, tout cela pour satisfaire la cupidité de ton père. Je me mettais à leur place et j'espérais qu'ils aient retrouvé un minimum de confort dans leur nouvelle vie.

— Je n'aurais jamais imaginé que Père soit si impitoyable. Il a réellement incendié la maison des Imur pour les effrayer et les pousser à quitter le pays ? Je n'arrive toujours pas à accepter cela. C'est si cruel !

— Ton père est, ou plutôt était, un homme influent. Son prestige reposait sur sa réputation. Il ne pouvait pas laisser monsieur Imur le trainer dans la boue en dévoilant publiquement les origines de notre richesse.

— Il ne l'aurait pas trainé dans la boue. Il aurait juste rétabli la vérité ! À la place, c'est la renommée de la famille Imur qui s'est retrouvée entachée à tort ! s'indigne Etna.

— C'est là l'éternel dilemme, ma chérie ! Manger ou être mangé. Imagine les conséquences pour notre famille si la vérité se savait : nous serions ruinés, exclus du monde. Peux-tu seulement imaginer ce que nous devrions faire pour survivre ?

— Sans doute ce que fait Noitan en ce moment, ironise Etna.

— À la différence près qu'il s'agit d'un homme et que sa valeur ne repose pas que sur ses charmes. Qui épouserait une femme sans honneur ni fortune ? Laisse-moi te dire que ta vie serait bien moins délectable que celle que tu savoures aujourd'hui. Il n'aurait jamais été possible que tu épouses le Prince si le scandale avait éclaté. Alors, pèse bien le pour et le contre et agis en conséquence !

Envers et contre tousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant