La franchise paie-t-elle toujours ?

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Lors de la traversée de la galerie des glaces conduisant à la salle principale, Etna ne peut s'empêcher de contrôler sa coiffure : ses longs cheveux agrémentés de fleurs et d'un ruban bleu ciel, savamment arrangés pour tomber délicatement sur ses épaules, n'ont pas bougé depuis son départ de la maison.

À ses côtés, conscient de l'importance de son rôle de chaperon, Rio, profère ses dernières recommandations à sa soeur :
— Souviens-toi des conseils de Mère : souris, tiens-toi droite, sois avenante mais pas trop...
— Et j'évite de me goinfrer. Cela fait mauvais genre. Je sais ! complète Etna, taquine.
— Je n'ai pas envie qu'elle répète jusqu'à la fin de mes jours que tes débuts dans le Monde ont été un véritable désastre par ma faute. Alors, soigne ton entrée, soeurette !

Au royaume d'Etrebil, les jeunes filles de bonne famille n'ont le droit de fréquenter les membres de la haute société qu'à compter de leurs dix-huit ans. Elles peuvent dès lors participer aux divers concerts, dîners, bals, et autres réjouissances organisés par les familles les plus nobles des alentours sous la surveillance d'un chaperon. Ces rencontres leur offrent l'opportunité de nouer de nouvelles relations amicales avec leurs pairs et éventuellement, de laisser le loisir à un célibataire respectable de leur faire la cour.
Avant cet âge, elles suivent une scolarité en pension au sein d'établissements réservés aux filles où leur est enseigné, en plus des bonnes manières, un ensemble de pratiques nécessaires à la vie d'épouse, comme la cuisine ou la couture. Pour les plus courageuses et curieuses, des options leur permettant de découvrir les arts, la littérature ou même les sciences leur sont proposées en supplément de leurs huit heures quotidiennes d'apprentissages de base.
Car, en effet, à Etrebil, les femmes de bonne famille sont destinées à être épouses, éventuellement si la vie le leur permet, à être mères, mais seules les femmes des classes ouvrières sont autorisées à exercer un travail pour subvenir aux besoins de leur famille. Leurs journées doivent donc s'articuler entre le désir de rendre leur foyer accueillant, la nécessité de prendre soin d'elles-mêmes afin d'être les plus attrayantes possibles pour leur mari et l'obligation de prendre soin des enfants, pour les plus comblées d'entre elles.

Les hommes nobles, quant à eux, ont accès à la société dès leur plus jeune âge et suivent une formation composée d'enseignements littéraires et scientifiques ainsi que de notions d'économie et de comptabilité afin de pouvoir, pour la plupart, être en mesure de reprendre l'entreprise paternelle à leur majorité. Leur seule obligation réside dans l'impératif de se mettre en quête d'une épouse à compter du jour de leur vingt-cinq ans.

Etna Vas, qui fête aujourd'hui sa majorité, a achevé sa formation la veille.
Motivée par l'envie de se constituer un solide socle de connaissances, la jeune femme étudiait quotidiennement jusqu'à des heures tardives tandis que la plupart de ses congénères se contentaient du minimum. Ainsi, Ema, sa meilleure amie, rencontrée au pensionnat, ne voyait pas l'intérêt de s'épuiser à la tâche pour au final « passer le reste de sa vie enfermée entre quatre murs à avoir pour seule ambition de permettre à son époux d'avoir l'existence la plus douce possible ».

Etna participe, pour sa première sortie, à l'événement annuel mondain le plus fameux et le plus attendu du royaume d'Etrebil : le bal des débutantes.

Lors de cette soirée uniquement accessible aux jeunes gens en âge de se marier, les demoiselles des familles les plus respectables du royaume côtoient les hommes les plus convoités ou autrement dit, les meilleurs partis du pays. Chaque année, les prémices des plus belles unions s'établissent lors de ces réjouissances.
Cette édition est d'autant plus spéciale qu'il a été décidé qu'exceptionnellement les invités s'y présenteraient masqués en l'honneur du plus jeune fils du Roi, le Prince Tidure, qui a atteint ses vingt-cinq ans cet hiver.

Envers et contre tousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant