Doute

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Le temps est maussade en cette fin d'après-midi. Les débats du jour, fort enrichissants et passionnés, viennent de s'achever. Comme Etna s'y attendait, son frère s'est abstenu de l'accompagner à cette séance de littérature. La jeune femme est persuadée que sa présence n'aurait en tout état de cause pas modifié le nombre de ses interventions.

La réunion s'est établie dans le jardin à l'anglaise, un peu plus éloigné du palais que l'étendue d'herbe sur laquelle elle s'était installée lors du précédent cercle littéraire. La marche pour regagner le bâtiment s'annonce donc plus longue que la dernière fois, mais cette partie du parc étant équipée de petits bancs en bois, le confort de la séance s'est avéré bien meilleur.

— Puis-je m'entretenir avec vous ? s'enquiert le Prince auprès d'Etna alors qu'elle se relève à peine.

— Bien sûr, votre Altesse.

Tidure présente son bras à Etna qui s'en saisit. Ils entament, d'un pas lent dans l'immense jardin, leur retour vers le palais.

— Notre dernière entrevue est-elle si lointaine que vous en avez oublié que je vous ai invitée à me nommer Tidure ou est-ce une obstination de votre part à me contrarier ?

— Pardon, je pensais que vous souhaitiez que je sois discrète, répond Etna en scrutant les alentours.

— Je ne convie que des amis à mon cercle littéraire, vous pouvez donc parler librement.

La demoiselle effectue quelques pas avant d'aborder le sujet qui la taraude depuis le début de la séance.

— Monsieur Duagin fait donc partie de vos amis. Il n'a pu se libérer pour venir aujourd'hui ?

— Non, ses propos m'ont déplu la dernière fois. Je ne l'ai pas convié.

— Oh... On ne peut donc pas totalement parler librement, le taquine Etna.

— Tant que l'on respecte les autres, si. Mais il vous a manqué de respect. Je ne peux le tolérer, lui répond très sérieusement Tidure.

Cette marque de sympathie, qu'il lui témoigne en prenant son parti, l'emplit de reconnaissance.

Tandis que le Prince fixe le sol, Etna considère quelques instants le profil de cet homme qu'elle n'a jamais réellement pris le temps d'observer et repense aux propos de monsieur Amac. La mèche brune qui ondule sur son front, ses longs cils courbés entourant ses yeux clairs, son nez légèrement tordu et sa mâchoire carrée et volontaire le rendent particulièrement séduisant.

Elle se fait la réflexion qu'il n'est pas étonnant que tant de femmes souhaitent qu'il les courtise. Si son coeur n'était pas déjà pris, sans doute l'espérerait-elle également.

Il relève les yeux et croise son regard. Il le soutient quelques instants puis se concentre sur l'horizon et lui avoue :

— Etna, il faut que je vous informe de ce que j'ai découvert.

Après un court silence, il poursuit :

— Je me suis renseigné sur votre monsieur Itsbo. Je ne parvenais pas à comprendre pourquoi ce nom ne me disait rien. Et les conclusions, j'en ai peur, sont inquiétantes : aucun monsieur Itsbo n'est connu à la Cour.

— Comment est-ce possible ? Il existe bien, vous l'avez vu vous-même !

— En effet. Mais la famille des Itsbo s'est éteinte avec leur  avec leur dernière fille, il y a dix ans environ. Certes, elle avait un fils mais le petit portait le nom de son père et non celui des Itsbo.

— Je ne comprends pas...

— Il ne peut y avoir qu'une seule explication : cet homme vous ment sur son identité.

— Ou vos informations sont erronées, rétorque la jeune femme.

— Etna, je comprends que cette nouvelle vous perturbe mais vous devez savoir que les renseignements qui me parviennent sont toujours de grande qualité.

— Mais pourquoi aurait-il fait cela ? C'est ridicule ! Quel serait son intérêt ?

— Je ne l'ai pas encore découvert. Pour le moment, lui seul pourrait nous l'expliquer.

Les jeunes gens avancent en silence quelques instants. Etna, pensive, tente de se remémorer les discussions partagées avec Noitan qui contrediraient les informations du Prince. Soudainement, une phrase lui revient à l'esprit. Elle s'écrie :

— Mais non, vous vous trompez ! Lorsque j'ai été invitée chez madame Bons, il était lui aussi présent et il m'a assuré que sa mère était une bonne amie de notre hôtesse ! Madame Bons peut donc confirmer son nom !

— Madame Bons connaîtrait la mère de cet homme ? Il faut que je m'entretienne avec elle alors car elle a pu être victime de cet usurpateur.

— Usurpateur ? Vous le condamnez sans même savoir si vos informateurs ne se sont pas trompés ! s'indigne la jeune femme en accélérant sa marche.

— Calmez-vous, Etna ! Je sais que ces nouvelles sont contrariantes mais vous les prenez tant à coeur...

— Evidemment. Vous accusez un homme sans même le connaître !

Le jeune homme se poste face à la demoiselle afin de capter son regard.

— M'auriez-vous caché la vérité ? la questionne le Prince, inquisiteur.

— La vérité ? Quelle vérité ?

— Vous m'aviez dit qu'il en aimait une autre. Mais il semblerait que vous soyez très attachée à cet homme. Avez-vous des sentiments pour lui ?

Etna se dégage brutalement du bras du Prince, agacée.

— Je ne peux répondre à cette question !

— Songeriez-vous à laisser cet homme vous faire la cour ? lui demande t-il, choqué.

— Cette idée ne me serait pas déplaisante, en effet ! lui rétorque, Etna, acerbe.

Le ton monte entre les deux jeunes gens.

— Même après ce que je viens de vous révéler ?

— Oui car je suis certaine qu'il ne peut s'agir que d'une erreur !

— Vous accepteriez de l'épouser malgré mes avertissements ? s'emporte Tidure.

— Il ne me l'a pas demandé !

— Mais s'il le faisait demain, que lui répondriez-vous ?

— Oui ! répond Etna, excédée.

— Vraiment ?

— Oui, vraiment !

— Jamais je ne le permettrai ! hurle le Prince en retour.

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