Envers et contre tous

Lumière (2/2)

Rien qu'au souvenir de ces instants, un long soupir s'échappe de ses lèvres.

Elle aurait voulu pouvoir amener monsieur Amac à clarifier sa pensée mais sitôt ces quelques mots prononcés, d'autres gentilhommes se sont approchés pour la questionner sur ses goûts littéraires. Tidure est ensuite venu tous les saluer avant de se retirer, non sans adresser un dernier regard dans sa direction.

Elle aurait aimé pouvoir le rejoindre et prolonger leur tête à tête.
Elle ressent encore à cette minute même l'envie de le retrouver. Le trouble la gagne.
Pourquoi ces interrogations sur monsieur Itsbo sont devenues plus un mystère à résoudre qu'une blessure ? Comment en quelques gestes le Prince a-t-il réussi à effacer l'émoi que provoquait en elle jusqu'à présent l'évocation de Noitan ?

Une voix féminine la tire de ses réflexions :
— Bonjour Etna !

La jeune femme relève les yeux et reconnaît immédiatement la demoiselle qui lui fait face :
— Oh, bonjour Salil ! Que fais-tu ici ?Je ne t'avais pas vue.

— Oui, tu semblais ailleurs. Ta mère a invité la mienne pour un thé et j'en ai profité pour venir te saluer.

— Je t'en prie, installe-toi ! lui propose Etna en désignant l'emplacement à côté d'elle sur le banc. Comment vas-tu ? Cela fait combien de temps... Cinq mois que nous nous sommes quittées au pensionnat ? Comme le temps passe !

— Oui, en effet. Je vais bien, mon prétendant m'a fait sa demande la semaine dernière ! Le mariage aura lieu cet été. Je suis toute excitée ! Bientôt, je serai madame Edruedo. Et toi, as-tu déjà trouvé un fiancé ?

— Non, pas encore...

— Vraiment ? Pourtant, dès le bal des débutantes, tu suscitais déjà l'intérêt.

— Oh ? Tu étais présente ? Je n'ai pas eu le bonheur de te parler !

— Tu ne m'as pas vue, mais moi, je t'ai reconnue sous ton loup noir. Et j'ai eu l'occasion de constater que tu avais du succès.

— Tu parles de ma danse avec le Prince ?

— C'est vrai que c'était un moment exceptionnel. Figure-toi que j'ai cherché plusieurs fois à obtenir cette faveur sans succès ! Chanceuse ! Mais je ne pensais pas vraiment à ça.

Etna fronce les sourcils et l'invite à continuer.

— Un jeune homme charmant s'est renseigné auprès de moi quand il m'a entendu parler de notre pensionnat avec une de mes amies. Il t'a désignée et m'a demandé si tu étais bien mademoiselle Vas. Quand je lui ai confié que nous étions dans le même groupe en pension, il a enchaîné sur une demi-douzaine de questions. Aucun doute sur l'intérêt qu'il te portait !

— Réellement ? Il ne s'est pourtant pas adressé à moi.

— Au contraire ! Je vous ai vus danser ensemble par la suite.

— Mais à cette soirée, je n'ai dansé qu'avec le Prince et ...

Etna s'interrompt quand la vérité la percute. Peu encline à accepter l'évidence, elle la questionne :
— Comment était cet homme ?

— Il était grand, brun, les yeux marron foncé presque noirs, les cheveux courts, un loup bleu marine assorti à son costume. Un bel homme, à n'en point douter.

— Oh mon Dieu ! lance Etna.

— Ca va ? Tu es toute pâle ! Veux-tu rentrer ?

— Non, non, se reprend Etna. Dis-moi Salil, quelles questions t'a-t-il posées ?

— Laisse-moi me souvenir... Je lui ai dit que tu étais intelligente, drôle...

Elle réfléchit puis reprend :
— Je ne sais plus exactement comment nous en sommes venus à parler de cela, mais je sais que nous avons échangé sur ta passion pour la lecture et ton côté un peu, disons...

Salil hésite à continuer.

— Mon côté... ? Dis-le s'il te plait !

— Rebelle ? répond hésitante Salil. Tu vois ce que je veux dire ?
Tu nous disais toujours que tu ne comprenais pas que les femmes soient cantonnées au rôle d'épouse, qu'il n'était pas normal que nous n'étudions pas les mêmes matières que les hommes...

— Tu lui as dit tout ça ?

— Oui, j'en suis désolée. Je me suis montrée trop bavarde. Cela-a-t-il compromis tes chances avec lui ? Pardonne-moi si c'est le cas...

— Ne t'inquiète pas pour cela, la rassure Etna. Merci de m'avoir confié tout ceci. Tu ne peux pas imaginer à quel point ce que tu viens de me révéler m'éclaire !

Etna se lève brusquement du banc et ajoute :
— Mais tu avais tort sur une chose. Je ne suis pas intelligente ! Je dirais même que depuis ma sortie du pensionnat, j'ai été bien sotte !