Envers et contre tous

Coeur ou raison ?

Le lendemain, Etna se réveille de bon matin, décidée à respecter l'engagement pris la veille et se prépare discrètement. Puis elle se replonge dans son livre pour ne pas perturber le sommeil de sa mère.

Au bout de quelques pages, elle entend un gémissement plaintif en provenance du lit :
— Etna... Etna...
— Oui, Mère ?
— Ah, tu es là. Je ne me sens pas bien. Je suis nauséeuse. Je ne
vais pas pouvoir me lever.
— Voulez-vous que je vous apporte quelque chose pour vous sentir mieux ?
— Non, merci. Je vais juste rester ici et me reposer. Peux-tu excuser mon absence auprès de nos hôtes ?
— Bien sûr, Mère. J'y vais de suite.
Etna se lève et se dirige vers la porte de la chambre. Sa mère l'interpelle :
— Et Etna !
Elle se retourne, étonnée :
— Oui ?
— N'oublie pas notre discussion d'hier soir ! Ne traîne pas avec ce garçon, promis ?
— Promis. À tout à l'heure, Mère ! Reposez-vous bien !

Après s'être entretenue avec monsieur et madame Bons sur l'état de santé de madame Vas, Etna et tous les autres invités se rendent aux écuries. Le temps en cette matinée printanière est splendide. La jeune femme apprécie la douceur du soleil qui réchauffe son visage et la légère brise qui soulève les quelques mèches échappées de son chignon. Elle profite quelques instants de la vue incroyable que lui offre le domaine de ses hôtes. Dressé sur une colline, il permet d'admirer les champs rougeoyants réputés d'Etrebil qui s'étendent à l'infini, l'orée d'un bois qui semble se dessiner à l'est tandis qu'à l'ouest un petit village typique composé de maisons de briques ornées de pignons ou de corniches fortement moulurées sublime le décor.

Noitan tente de s'approcher d'elle, mais Etna l'esquive et monte rapidement sur sa monture.
Fidèle à sa promesse, elle s'attache à éviter toute proximité avec le jeune homme durant l'intégralité de la promenade. Arrivé proche du lac à l'heure du déjeuner, tout le groupe descend de cheval. Comme l'avait indiqué madame Bons la veille, le lieu ne manque pas de charme et le bois attenant fournit une ombre agréable en cette journée ensoleillée.

Des nappes sont étendues sur l'herbe à quelques mètres d'intervalle et les convives s'installent par petits groupes pour déguster les mets.

Noitan s'assoit près d'Etna. La jeune fille n'ose se déplacer de peur de paraître malpolie. Elle entame la conversation avec la jeune fille installée à sa droite dans le but d'éviter tout contact visuel avec monsieur Itsbo. Monsieur Nisnas se joint à la discussion et se pose en face d'elles. À plusieurs reprises, Noitan tente d'attirer l'attention d'Etna mais en vain.
Finalement, il se penche et lui susurre, en frôlant presque son oreille :
— Ne m'ignorez pas !

Sa voix est une supplique si sensuelle qu'un frisson la parcourt. Etna maintient le regard fixé sur sa voisine, mais elle sent son corps s'enflammer. La jeune femme essaie de reprendre le cours de la conversation. Ces quelques mots l'ont tant perturbée qu'elle y parvient difficilement. Elle entend la voix de monsieur Nisnas, d'abord un peu lointaine :
— Et là-bas, près du lac, avez-vous vu cet arbuste à fleurs roses ? Il est magnifique. Savez-vous de quelle variété il s'agit ?

Etna se répète intérieurement « Reprends-toi », mais rien n'y fait. Elle sent encore le souffle chaud de Noitan et l'effet que cela produit en elle est nouveau et troublant.
N'obtenant pas de réponse d'Etna, monsieur Nisnas insiste :
— Mademoiselle Vas ? Savez-vous de quelle variété il s'agit ? Comme tout juste sortie d'un rêve, Etna répond d'une voix peu
assurée :
— Euh... pardon, monsieur. Je suis désolée, j'ai peu de notions en
botanique.
— Oh, réellement ? Vous semblez être une personne si cultivée,
pourtant.

Coupant court à cette discussion, Noitan propose :
— Mesdemoiselles, monsieur, que penseriez-vous de nous
dégourdir les jambes en nous dirigeant vers l'orée de ce bois ?
En se redressant, monsieur Nisnas déclare :
— Avec plaisir ! Une petite marche ne pourra que nous faire du
bien.