Chapitre 48

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Quatrième partie

Jia

Ils échangèrent un regard dans lequel je perçu une conversation silencieuse sans pour autant en saisir quoi que ce soit.
Malgré son tissu assez fin, je commençais à suffoquer dans mon  kimono. On aurait dit que la fourrure de son col cherchait à m'étouffer le plus possible pour que jamais je ne vois la suite des événements qui m'attendaient.

-Tu te souviens de Lee, ma meilleure amie ?

J'hochais la tête.
Akio enfin, papa, je ne savais plus trop comment l'appeler, enchaîna sur les paroles de sa femme en souriant légèrement :

-Quand tu étais petite, tu adorais écouter ses chansons en boucle.

Je m'en souvenais.
Lee Ohashi, la meilleure amie de maman, était une ancienne star du rock, qui avait quitté la scène pour des raisons assez obscures. Elle pleine d'ambition, de rêve et d'espoirs, et était prête à apporter sa jeunesse et sa passion, en même temps qu'une nouvelle ère pour le rock.
C'était une star montante partie de la scène beaucoup trop tôt.
À l'époque, elle n'avait pas convaincu grand monde en mettant cette histoire sur le compte de sa santé, mais maintenant, alors que le vrombissement des moteurs au-dehors, mélangé aux sons des pétards, résonnaient dans mes oreilles, je sentais les pièces du puzzle se remettre peu à peu en place dans mon cerveau.

-C'est... elle ? demandai-je incrédule.

-Oui... répondit-il dans un souffle.

J'en restais sans voix.
D'habitude, quand ta mère et sa meilleure amie vivent aussi près l'une de l'autre (enfin, le plus près possible dans le cas de Tokyo) comme c'était le cas pour les deux concernées, elles se voyaient souvent, non ? Et par conséquent, les enfants la voyaient souvent.
Ça n'a jamais été le cas pour cette famille : la première fois que j'ai jamais vu Lee Ohashi avait aussi été la dernière. J'avais 8 ans, et je me souviendrais toujours de la douleur qui était passée dans son regard la première fois que je l'avais vue.
Aujourd'hui, je comprenais enfin pourquoi.

Un silence de mort s'ensuivit, pendant lequel une véritable battle de regards avait lieu dans le salon.
La voix chevrochante, maman lança la bombe qui manqua de m'achever :

-Tu... tu voudrais la rencontrer ?

Décidément, c'était la façon la plus loufoque de commencer une nouvelle année.

*

Hagumi

-FAIT GAFFE ! 

D'un brusque coup d'épaule, je poussais Emma sur le côté.

-Ran, Rindou, m'exclamai-je en voyant les deux frères se dresser devant moi, qu'est-ce que vous foutez là les gars ?

Je n'avais jamais eu de relation confluctuelle avec les rois de Roppongi. D'un accord tacite, nous avions convenu qu'il n'y aurait aucune guerre, à condition qu'aucun clan ne foute la merde chez l'autre.
Or, d'après la lourde brique un peu ensanglantée que tenait Ran à bout de bras, j'avais l'impression d'avoir tout intérêt à me méfier.

Rindou sourit. Des deux frères, c'était celui avec qui je m'entendais le mieux.

-Déso, Hagu, mais on vient pas en paix aujourd'hui.

-Qu'est-ce que...

-HAGU !

La voix paniquée d'Emma me sorti de mon état de stupéfaction, et c'est tout juste que j'esquivais le coup de poing qui m'était destiné. Une montagne de muscle tressée et vêtue d'un uniforme de bosozoku rouge sang me faisait face en ricanant.
Kanji Mochizuki, de la génération 87.

-Tiens, tiens, tiens... Hagumi Ryuguji, la petite amie de Mikey et petite sœur du célèbre Draken... dit-il, un rictus collé au visage, toi, si je te fracasse, je suis sûr de gagner le gros lot !

Il avait à peine achevé sa phrase, qu'un coup de pied au visage le fit taire. Malheureusement pour moi, il se remit bien vite sur ses pattes, un air contrarié collé sur son minois de bad boy achevé à la pisse.

-J'trouve que tu parles beaucoup pour quelqu'un qui se donne d'aussi grands airs. T'as que de la gueule, arrête de la ramener.

C'est là, que je m'étais plantée.
Ne jamais tourner le dos à ses ennemis était la première règle qu'on m'avait apprise lorsque j'avais commencé mes combats de rue.
Sauf que jusqu'à cet instant précis, je n'avais jamais dû considérer les Haitani comme des adversaires.
Il fallait vraiment que je revois mon sens des priorités, parce que je sentais bien que les embrouilles étaient loin d'être terminées.
Et je ne disait pas ça parce que la brique de Ran s'abbattait sur mon crâne pile à ce moment là.

*

-Rien de cassé ?

Le visage souriant d'Emma, et celui fermé Jia furent les premières choses que je vis au réveil. La belle au bois dormant a connu pire, donc je ne vais pas me plaindre.

-Mon ego, ça compte ?

J'étais encore étalée au sol, telle une étoile de mer lorsque je donnais cette réponse.

-Ça compte, acquiesça Emma en m'aidant à me relever.

-Alors tu apprendras qu'il est plus brisé que le cul des filles au bordel après une journée de taf.

Emma gloussa tandis que Jia fronçait les sourcils.
Préférant ne pas m'attarder sur le sujet, je décidais de m'adresser à elle :

-Toi aussi ils t'ont chopée ?

Elle gratta une croûte qui commençait à se former sur le haut de sa pomette. Son œil commençait même à gonfler un peu.  Ou alors, c'était les cernes qui commençaient à remonter. Son teint de zombie montrait clairement que le sommeil et elle n'étaient pas vraiment potes ces derniers jours.

-Ouais. Ils sont vicieux tes gars de Roppongi.

Inutile de lui préciser qu'il ne s'agissait pas vraiment de "mes" gars à proprement parler. Ne jamais énerver une Jia sauvage, même si elle a été domestiquée par un Chifuyu, et ce, encore moins quand elle manque de sommeil. C'est une règle de survie de base si on voulait rentrer dans la moyenne de l'espérance de vie japonaise.

-Je propose qu'on rentre au QG, annonçai-je, on a eu notre compte de baston pour la journée à mon avis.

Ça ne faisais que commencer, malheureusement.

Will u be my bad boy ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant