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Août 1940

France

Titubant à travers les grandes allées, un jeune homme fit fuir les rares passants encore debout. Une bouteille dans la main, il errait dans les rues, tentait en vain de maintenir son équilibre. Quelquefois, il chuta, déversant une partie de son précieux liquide sur les pavés. Jurant à chaque occasion, il ne récoltait que des regards emplis de dégoût. Irrité par tous ces jugements, il cracha sa haine sans vergogne. Seulement, face à cette agitation, il finit par trébucher. S'écorchant avec les débris de sa bouteille, son sang souilla par gouttelettes la chaussée. Avec le peu de lucidité qu'il lui restait, le jeune homme comprit qu'il devait rester en ces lieux pour la nuit. Jamais il ne parviendra à rentrer chez lui. Mais en avait-il seulement envie ? De retrouver cette ruine humide et délabrée ? Non, bien sûr que non...

Résigné, il s'engouffra dans une ruelle avant de s'adosser au mur de celle-ci. Levant ses yeux vers le ciel, il pesta en ne distinguant pas la moindre étoile. Juste une immensité bleutée. Soupirant, le jeune homme laissa tomber sa tête dans ses mains. Ainsi, il n'avait plus rien du fier soldat qu'il était il y a des années de cela. Pourquoi cela avait-il changé ? Comment les choses ont-elles pu se dégrader à ce point ? Où s'était-il foiré ?

Plongé dans un désespoir bien trop familier, le jeune homme sentit ses yeux s'emplir de larmes. Etoufant un sanglot, l'alcool ne fit qu'amplifier son mal-être. Comment était-il devenu un être aussi minable ? Englouti par une tristesse sans nom, il laissa filer un seul mot. Un prénom, qui était la source de ses cauchemars autant que celle de ses rêveries. Malgré toute l'aversion que lui provoquait ce nom, il ne pouvait s'empêcher de le nommer quand le chagrin se faisait trop puissant.

-Pierre...

À la suite de ces paroles, il sentit sa gorge s'écorcher, mais il en avait cure. Devant lui, la silhouette de son ami venait d'apparaître. Souriant, il lui tendit sa main pour l'aider à se relever. S'échappant des chaines du désespoir, le jeune homme se rattacha à cet espoir inespéré.

Son ami était revenu, revenu pour lui ! Désormais, ils pouvaient reformer leur duo mythique !

Seulement, son bras ne rencontra que du vide. Enveloppé par la froideur de cette soirée, jamais il ne put atteindre la chaleur de cette main. Abattant celle-ci avec force sur le sol, il laissa échapper un cri déchirant. Cette fois, ces larmes s'échappèrent sans retenue.

– Pourquoi ? Pourquoi m'as-tu abandonné ? Murmura-t-il avant de sombrer dans l'inconscience.

********* **********

Quand le jeune homme reprit conscience, une douleur fulgurante traversa sa boîte crânienne, le faisait grimacer. Ouvrant peu à peu ses paupières, son regard marron parcourut avec incompréhension la pièce dans laquelle il siégeait. Rien ne lui semblait familier. Voulant se relever trop prestement, le brun rencontra le sol dans un grondement sourd. À la suite de son action, il discerna des pas se dirigeant dans sa direction.

La porte de la chambre s'ouvrit, lui faisant ainsi découvrir un visage d'une douce beauté. La jeune femme s'engouffra dans la pièce avec minutie et délicatesse. Elle semblait préoccupée par l'état du brun, comme le témoignait sa mine soucieuse. Robin ne sut si cela résultait de l'alcool encore présent dans ses veines, mais cette inconnue lui parut magnifique. Son visage, légèrement arrondi, possédait une candeur qui lui provoqua de vives rougeurs. Sa chevelure, d'un châtain presque blond, lui paraissait posséder une douceur infinie. Il se surprit à désirer glisser avec délicatesse sa main dans cette dernière. Ne pouvant maintenir son regard, il dut, à contre-cœur, détourner le sien de ses ravissantes perles bleutées.

– Comment vous sentez-vous ? Lui demanda-t-elle d'une voix aussi claire que du cristal. S'approchant de sa silhouette avachie, le jeune homme se sentit honteux de se présenter ainsi devant une telle beauté.

– Bien, je vous en remercie. Fronçant les sourcils, la châtaine comprit aisément son vain mensonge.

— Asseyez-vous, je vais désinfecter votre plaie. Surpris par son ton soudainement autoritaire, il s'exécuta.

– Comment je suis arrivé ici ? Tout en s'adonnant à ses soins, la jeune femme lui répondit.

– Une amie vous a ramené ici. Apparemment, vous seriez de vieilles connaissances. Elle m'a demandé de m'occuper de votre personne jusqu'à son retour.

– Cette amie, commença-t-il, qui est-ce ?

– Elle se nomme Alice, une jeune femme, ma foi, bien singulière. Sa chevelure est d'un blond d'une pureté rare et ses yeux revêtent une douce teinte noisette.

– Cela ne me dit rien... Quel âge a-t-elle ?

– Vingt ans, il me semble... Même si elle paraît en avoir davantage.

– Je vois. Répliqua-t-il simplement, perdu dans d'intenses réflexions. Qui pouvait bien être cette femme clamant être une proche ?

– Ne vous torturez pas ainsi, elle sera prochainement de retour !

Parfois, il m'arrive de penser que le Destin ne nous cause pas que des blessures. Cette rencontre en fut la preuve. Jamais, ils n'auraient pu faire connaissance naturellement. Ils étaient bien trop opposés socialement. Seulement, si ce qu'on nomme la destinée venait mettre son grain de sel, alors, tout serait possible. Comme l'amour qui les liera. Leur histoire fut emplie d'une telle douceur que j'en fus émue. À ces deux âmes, je leur souhaite le plus grand bonheur du monde, du fond du cœur.



Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant