XXV

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Octobre 1940

France


Un cri.

Aigu. Perçant. D'un timbre à vous faire frissonner d'effroi. Seul son percevable dans cette nuit obscure, il résonnait avec force. Créant dès lors des échos aussi terrifiants qu'assourdissants. On ne savait rien de son propriétaire. Seulement, on pouvait aisément deviner sa situation. Sa souffrance était telle que même cette action, qui fut la preuve de sa douleur, n'était pas assez puissante. Ses cris d'agonies ne cessaient de retentir, d'une cadence à vous glacer le sang.

Pourtant, malgré tout cela, le son d'une démarche fut discernable. Rapide. Ferme. Son hôte ne semblait nullement perturbé par cette horrible symphonie. Poursuivant son chemin, jamais, il n'émit la moindre réaction, jamais. L'homme avait beau hurler à s'en déchirer les cordes vocales, la silhouette était indifférente à son triste sort.

Fut une période où il ne pouvait pas les supporter. Où chaque nuit ces cris venaient le torturer. Tel un vieux disque rouillé, ils se répétaient sans cesse dans le creux de son oreille. Nombreuses furent les heures où Morphée ne put lui rendre visite. Ces plaintes étaient omniprésentes dans son esprit. Quoi qu'il fasse, où qu'il aille, jamais elles ne le laissèrent en paix.

Empruntant ce chemin désormais familier, le jeune homme se figea en percevant un son. Ce dernier était bien particulier, il le hantait constamment. Telle une malédiction, il lui collait à la peau. Ces voix, ces horribles voix, ces appels à l'aide. Leur tourmente fut telle que cela le fit douter. S'engageait-il dans la bonne voie ? Était-ce réellement ce qu'il désirait ? Était-ce là les conséquences de ses actions ? Mais bon Dieu, qu'était-il en train de faire ?

Apposant avec violence ses mains sur ses oreilles, il tenta en vain de les faire taire. Mais cela n'eut aucun effet. Elles se regroupèrent, prirent en puissance, jusqu'à se transformer en un monstre difforme. Ce dernier prit d'assaut le pauvre jeune homme qui glapit face à lui. Prestement, les larmes envahirent ses yeux tandis qu'il s'excusait inlassablement. Implorant le pardon de ces âmes tourmentées, il se laissa peu à peu sombrer dans un désespoir bien trop familier.

« Hanna... Aide-moi, je t'en prie... Aide-moi avant que je ne devienne un être hideux... Sors-moi de là... »

Une silhouette vint faire doucement son apparition. Se postant en face de lui, la jeune femme lui adressa un sourire d'une tendresse infinie. Seulement, il lui était impossible d'en distinguer davantage. Comme si son image s'estompait peu à peu. Ou qu'il s'agissait là d'une illusion. La noiraude ouvrit ses bras, invitant le blond à venir s'y réfugier. Toutefois, quand il tenta de s'approcher, cette dernière parti en fumée. Un air marin subsista quelques instants, seule preuve de l'apparition de cette mystérieuse silhouette.

Soudain, une voix. Vicieuse et fluette. Elle vint s'approcher avec lenteur de sa personne avant d'élire domicile sur son épaule. Le jeune homme tressauta et s'efforça de la faire disparaître. Seulement, vivace, elle ne bougea point d'un centimètre. Lui susurrant des paroles avec une douceur feinte, le blond se sentit perdre pied.

« Ne vois-tu pas que c'est inutile ? Elle n'est plus là ! »

« Ne penses-tu pas qu'ils méritent tout cela ? »

« Pourquoi souffres-tu pour eux ? »

« C'est inutile, pourquoi continuer à leur témoigner de leur affection ? Tu es le seul qui finira blessé, seul et abandonné. Comme toujours. »

Lentement. Tel un corps inanimé, le jeune homme se releva. Récupérant son couvre-chef, il le remit en place. Son regard fixé en avant, il reprit son avance. Sa démarche se fit rapide, ferme et confiante. Désormais, toute trace de peur ou de culpabilité semblait avoir été annihilée. Les cris résonèrent de nouveau. Seulement, cette fois, il ne s'interrompit point. Il poursuivit sa route sans même adresser une once de son attention à cela. Dorénavant, ces pupilles d'un vert si envoutant devinrent aussi dures qu'un rocher. Le doux éclat qu'elles arboraient mourut, ne laissant qu'un vide monstre derrière lui.

Il était trop tard, maintenant. Le criminel venait de naître.

– Capitaine Herzstein ? Relevant la tête, il croisa le regard visiblement apeuré d'une nouvelle recrue.

– Un problème ?

— Ces cris, est-ce normal ? Demanda-t-il avec une hésitation flagrante. Il semblait profondément angoissé par ces bruits.

– Oui, et tu ferais mieux de t'y habituer. Un jour, cela sera à toi de procéder à ces interrogatoires. Le jeune homme glapit avant de disparaître dans l'obscurité des couloirs. Nullement perturbé, le blond poursuivit son chemin.

– Hanna, que dirais-tu si tu me voyais ainsi ? M'aimerais-tu toujours ? Déclara-t-il dans un rire emplit d'amertume.

J'aurais tant voulu te retrouver à cet instant. Te prendre dans mes bras et faire cesser les appels désespérés de ton cœur. Je t'aurais réconforté avec toute la douceur dont je suis capable. Mais cela aurait-il pu changer quelque chose ? N'était-ce pas déjà trop tard ? Aurais-je pu te faire redevenir celui d'autrefois ? Je ne le sais... Mais pardonne-moi... Pardonne-moi de ne pas avoir été là pour toi...


Nous n'étions pas destinésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant